CORPS FRANC DU SIDOBRE
LA LIBERATION AU RIALET
Jeudi 10 août 1944 : Melle
Cazaubon était venue passer la journée au Rialet. En la reconduisant je
découvre la colonne de fumée, haute et droite de l'incendie du Catié.
Vendredi 11 : Je passe la journée
à Mazamet pour aller chercher les parts de viande, graisse…auxquelles les
tickets donnaient droit chez les commerçants où l'on était inscrit.
Au Rialet : incendie de
Sagneplane.
Samedi 12 : Dans la matinée je
remonte au Rialet à bicyclette. Près des grands hêtres de Marican une
camionette de FFI ou de maquisards me dépasse, drapeau tricolore au vent.
A quelques kilomètres du Rialet,
j'entends la fusillade. Je m'arrête et accepte l'hospitalité, pour un moment,
d'un paysan qui rentrait ses vaches à la ferme – le Recor, je crois – Quand
tout est de nouveau calme, je rentre à la maison. Mes parents s'inquiétaient de
mon absence. Ma fille (6 ans ) me dit que mamie pleurait parce que je n'étais
pas là et qu'ils s'étaient cachés dans l'embrasure de la porte de la chambre
pour éviter quelques balles perdues. C'est que la fusillade avait eu lieu tout
près de notre petite maison, la dernière du village sur un petit chemin qui
prend contre l'église.
Les vaches récupérées de la ferme
de Sagneplane, incendiée la veille, avaient été rassemblées par les Allemands
dans le pré de la famille Barthés, juste en contre – bas de votre jardin. Le
matin ils réquisisionnérent deux hommes pour les traire. C'est tout de suite
après que le maquis se trouvant dans les environs ( près de LAGRANGE, PRATAILLÉ
) descendit et attaqua les Allemands. Combien étaient-ils de part et d'autre,
je l'ignore…et c'est cette fusillade que j'avais entendue au moment ou j'allais
atteindre le Rialet.
Les gens du village prirent peur
et la plus part s'égailla dans la nature, s'étonnant même du fait que mes
parents et moi-même préférions rester sous notre toit. Aucun notable dans le
village : M. Berry, le maire, dont le Catié avait été incendié l'avant veille,
était à Mazamet; M. le Curé résidait au Bouisset; l'instituteur, ancien
prisonnier, était parti. Une jeune fille, Melle Bouzac, qui venait de s'enfuir
par notre petit chemin revint précipitamment avec son frère, me priant de lui
prêter mon vélo pour descendre de toute urgence à Mazamet, car elle venait de
se faire mordre par une vipère. Tous deux enfourchèrent les vélos et oublièrent
leur peur des Allemands.
Dans l'après-midi, M. Prom,
secrétaire de mairie et excellent ami, vint me dire qu'il avait ramassé un
blessé allemand et que celui ci était au café Houlès. Je m'y rends donc et
trouve un jeune homme d'à peine vingt ans, de Düsseldorf si mes souvenirs sont
exacts, allongé sur le sol et donc la blessure au côté avait été pansée par les
soins de la famille Houlès, de Mrs Prom et Maraval. Nous parlons un peu,
récitons ensemble, très émus, le Notre-Père en allemand. Le médecin d'Anglés
qui venait de Cambounès où un jeune maquisard avait eu un accident en
manipulant un fusil, s'arrête près du blessé et lui fait une piqûre calmante.
Mais nous ne savons trop que faire de lui…
J'entends alors nettement M.
Houlès téléphoner à la kommandantur à Mazamet " vous pouvez venir le
chercher, il n'y a pas de maquis sur la route!"
En effet, un moment après ( j'ai
complètement oublié les heures ) nous voyons arriver trois side-cars montés par
cinq hommes dont un infirmier et un galonné ( quel grade?? )L'infirmier vérifie
les pansements, donne encore quelques soins, remercie de ce que l'on avait fait
pour leur blessé. Il avait l'air très posé, très sympathique et nous parlons un
peu des tristesses de la guerre. On installe le blessé dans le side-car libre
et la troupe s'éloigne accompagnée de … nos vœux et d'un soupir de soulagement.
Mais à peine avons-nous le temps
de nous reprendre que nous entendons des coups de feu. Nous comprenons tout de
suite que le maquis est là et attaque les side-cars. Je n'ai jamais su si M
Houlès croyait sincèrement qu'il n'y avait pas de maquis sur la route ou si, au
contraire, c'était une espèce de guet-apens…Toujours est-il que nous voyons
revenir les side-cars avec le premier blessé, plus un autre très grièvement
atteint – c'était le gradé – et un tué, l'infirmier et les deux autres étaient
indemnes. Ces deux derniers se postèrent sur la route comme sentinelles et
l'infirmier se met à la besogne. Il me prie de l'aider, Melle Prom aussi était
là. Je vois encore ce blessé qui geignait atteint au côté, perdant beaucoup de
sang et dont je teins le bras déchiqueté pendant que l'infirmier faisait ce
qu'il devait faire. Il me dit que cet homme avait fait la Russie… et venir se
faire tuer au Rialet…
Les Allemands encore valides
avaient, bien entendu, téléphoné à Mazamet pour avoir du secours et je les
entendu dire et répéter : " Les formations blindées vont arriver." La
faculté de penser est dans de tels moments plutôt perturbée; il m'en
restait pourtant assez pour me demander ce qu'il allait advenir de notre petit
village et de ses habitants. Comme je ne pouvais plus rien faire, je décidai de
renter à la maison. Mais l'infirmier me demanda " si on a besoin de
vous, peut-on aller vous chercher?" J'acquiesçai car j'étais la
seule au village à pouvoir communiquer en allemand et j'étais persuadée
que parler pouvait être utile. Je rentrai donc à la maison et dis à mes parents
que " les divisions blindées allaient arriver!" Il était peut-être
prudent de ne pas ce coucher tout de suite.
Ma fille s'endormit et nous
attendîmes. Qu'elle heure était-il? Tard sûrement, on voyait encore clair du
fait du décalage de deux heures de l'heure allemande. L'obscurité était tombée
quand M. Maraval ( du Catié ) vint me dire : " Ils sont là et veulent vous
voir!". Je partis donc et au détour du chemin, j'aperçus trois petits
chars d'assaut bien armés, le tournant du chemin m'empêcha de voir les autres –
ils étaient dix, ont dit les gens du bas du village. Même en faisant la part de
l'exagération, on peut dire qu'ils étaient quand même bien pourvus!! La place
était toute couverte de militaires en uniformes verdâtres. Combien étaient-ils?
Je l'ignore mais cela faisait une vrai foule. Au moment où j'apparus,
j'entendis murmurer : " Voici l'interpréte! " Ce mot était d'ailleurs
impropre car je vis tout de suite que j'étais seule au milieu d'eux et nous
n'avons utilisé que l'Allemand. On me mena à celui qui apparemment était le
chef :
" Que s'est-il passé?
- Je l'ignore puisque j'étais
absente lors de la première attaque.
- Quelle heure était-il ?
-
Vers onze heures, je
crois…Après je n'ai pas quitté le café
Houlés où nous avons soigné les blessés.
- Où est le maquis ?
- Je n'en sais rien, il ne vous a
pas attendu !"
Ils avaient déployé des cartes
sur leur engin, regardaient, pointaient, discutaient et je restais là plantée
au milieu de leur cercle. Je finis par demander "avez vous encore besoin
de moi ? Non nous vous remercions
Tout cela avait été correct,
simple, net. Je regagnai donc mon logis Nous attendîmes encore; un petit char
vint tourner, avec peine, dans notre chemin creux, un soldat isolé traversa
notre jardin et sauta dans celui des Barthés…puis… plus rien…le silence…la
nuit..
Nous gagnâmes donc nos lits et,
marquée par cette journée d'émotion, je m'endormis d'un sommeil de plomb.
Dès que j'ouvris les yeux,
je bondis au café Houlès. Un beau matin d'été, frais comme ce moment peut
l'être à 600m d'altitude. Rues libres, place nette, pas l'ombre d'un
allemand…Les riverains me dire que tout le monde était reparti dans la nuit,
comme il était venu Tout ce déplacement d'hommes et de blindés pour rien…Dieu
merci !
J'attribue cette attitude au fait
qu'ils étaient pressés. Si cela s'était produit un an plutôt, même moins, cela
aurait pu prendre une autre tournure. Mais le débarquement avait eu lieu le 6
juin, Cherbourg était repris le 26 juin, la situation n'était pas brillante.
Et ce maquis, il aurait fallu le
chercher dans un pays montagneux, boisé, difficile. Il n'y eut pas non plus de
représailles sur le village. Est-ce parce qu'on avait soigné les blessés ?
Toutefois les escarmouches
continuèrent dans la région.
Le lendemain, le 13, il y
eut une fusillade au Vintrou.
Le 14 on découvre quelques
engins explosifs à la Patière, prè marécageux qui touche le Rialet et surtout
on découvre deux Américains tués dans les bois près de la ferme Bedgés. C'était
sûrement les malheureuses victimes des tireurs des side-cars voulant regagner
Mazamet l'avant-veille.
J'eus
alors aussi des nouvelles
de mon vélo prêté à la jeune fille ( Melle
Bouzac 22 ans sœur du Maire en 2003
) mordue par la vipère. Comme prise de malaise elle ne pouvait
plus pédaler,
son frère la chargea sur son cadre et laissa mon vélo,
devenu inutile dans le
fossé, dissimulé par des ronces et des fougères,
au bord du chemin près de la
métairie de Bedgès. C'est le lendemain que le jeune homme
me le ramena et me
déclara que le précieux vélo ( tous les
vélos étaient précieux à ce
moment-là
–quelques jours auparavant le 3 août une rafle avait eu
lieu à Mazamet ) avait
passé la nuit à l'endroit précis où se
produisit l'escarmouche. Lui au moins
s'en était sorti sain et sauf !
Autre ironie du sort et note
comique au milieu de ces circonstances tragiques : c'est l'aventure de la
collection de timbres. Mes parents, venus en 40 se réfugier à Mazamet avaient
fait suivre la collection de timbres qui nous avait également suivis dans notre
résidence rialétoise. Elle se présentait sous la forme de huit gros albums
contenus dans deux anciennes cantines d'officier. Lorsque le 12 au matin, mon
père vit que les choses menaçaient de mal tourner, il eut l'idée de mettre sa
collection en lieu sûr. Il avisa donc, dans le coin du jardin, un petit espace
entre la murette de clôture, en pierre sèches, d'à peu près un mètre de haut et
notre tas de fumier, mélange d'herbes, d'ordures ménagères et de bouses que
l'on ramassait sur les chemins pour améliorer nos carrés et nos plates-bandes.
Il y transporta donc ses cantines les couvrant d'une ou deux planches et
dissimula le tout d'un peu de paille, de feuillage et de quelques pelletées de
notre fumier. Ainsi tout était bien.
Or le 13 au matin, lorsque le
calme revenu, je jetai un coup d'œil à mon petit domaine, je vis la trace de
quelques pas dans les rangs de haricots, une demi-douzaine de poireaux écrasés
et… surtout…les cantines dénudées de leur protection et visibles comme le nez
au milieu de la figure. J'allai chercher Papa qui n'en revenait pas, il avait
tout arrangé avec tant de soin! Je me rappelai alors le soldat que j'avais vu
dans la pénombre traverser le jardin. IL n'était sûrement pas passé par la
porte, mais escaladant la murette il avait fait basculer le savant camouflage.
Il ne pouvait pas ne pas s'en être aperçu. Comment n'avait-il pas été intrigué
par ces caisses en ce lieu insolite? Ce pouvait être des armes, des documents.
Peut être lui aussi était-il pressé, indifférent à la suite des
événements…Toujours est-il que c'est un comble de vouloir sauver son bien et de
le mettre juste sous les pieds de l'unique Allemand foulant le sol de notre
petite propriété.
Le 14 encore une fusillade au
barrage du Vintrou et dans la nuit le pont de Gotar saute.
Le 15 ( débarquement sur la côte
méditerranéenne ) encore quelques coups de feu au barrage et un incendie.
Le 16 fausse nouvelle de
l'arrivée des Allemands
Obsèques à Pont de l'Arn
des sept jeunes carbonisés de la voiture à Montlédier (escarmouche du 15 août).
Le 20 à Pont de l'Arn hommage aux
deux Américains.
Le 22 Bataille dans Mazamet ( 1er
libérations de Paris )
Gouté le 25 l'atmosphère de
Mazamet libéré
Christian Charrondière s'engage.
Le 1er septembre nous prenons
notre premier thé au "Zitronne" ( les caisses de citrons n'avaient
atteint leur destination : Berlin ).
Le 18 octobre dans la matinée,
manifestation de la libération à l'école pratique en présence des directeurs,
professeurs, élèves et résistants.
Melle Henriette MALCUIT