MORTS POUR LA FRANCE PENDANT LA GUERRE DE 1914-1918
POUR LA COMMUNE DE GIROUSSENS

Ces pages prolongent l'exposition qui a eu lieu à Giroussens du 23 au 25 novembre 2006.

"L'Histoire militaire a été jusqu'ici inférieure aux autres histoires. Elle l'est parce qu'elle s'occupe de faits spéciaux que les témoins, les chroniqueurs, les historiens du temps, tous ceux dont les écrits sont nos seuls documents, se sont ingénié à dénaturer par esprit de patriotisme, de gloriole, de tradition...
S'est-on demandé si la conception traditionnelle de la bataille est conforme aux faits matériels et psychologiques observés par des témoins ?
Exite-t-il seulement des témoignages dont les auteurs ont réellement qualité pour témoigner ?
Ces questions je me les suis posées, comme bien d'autres soldats sans doutes, dès le jour où, en 1914, le contact, le choc brutal des formidables réalité de la guerre réduisit en miettes ma conception livresque des actes et des sentiments du soldat au combat, conception historique et que, naïvement je croyais scientifique. Je compris alors que j'ignorais la guerre... Tout en détestant la guerre, je me pris à l'aimer comme sujet, je me mis à l'étudier..."

Ces mots sont dans l'introduction générale de "Témoins" de Jean Norton Cru, édité en 1929, et qui reste la "bible" des histoires de la guerre de 1914-18. C'est lui qui a commencé un travail de réécriture de l'Histoire par les témoins eux-mêmes en marges à l'historiographie officielle.

Nous souhaitons que notre humble travail puisse contribuer à perpétuer cette trame historique : donner une image de la guerre d'aprés ceux qui l'ont vue de plus prés ; de faire connaitre les sentiments des soldats, l'âme des poilus à travers leurs propres témoignages. Aussi, et chaque fois que cela a été possible, en plus de la Chronologie des Batailles, des Historiques régimentaires, nous avons illustré la vie et la mort de ces soldats par des témoignages de camarades des mêmes unités. Nous espérons ainsi coller au plus prés de la réalité historique et de la devise de Ciceron "Ne quid falsi audeat, ne quid veri non audeat historia".

Eric Bruguière.

 

Analyse générale

 

Le nombre de morts est de 38 mais 2 n'apparaissent pas sur le monument au mort car ils étaient domiciliés à Rabastens.
Il s'agit de PONTIÉ André et de VALATX Ernest Marius tout deux nés à Giroussens.
La commune comptait en 1914 environ 1500 habitants soit un taux de mortalité légèrement inférieur à la moyenne nationale (2,53 %).


Le plus âgé avait 45 ans (il était de la classe 1890) et le plus jeune 19 ans (classe 1918).
La moyenne d'age du décès pour la commune est de 29 ans.

30 sont morts en France, 3 en Belgique, 2 en Serbie, 1 à Corfou et 1 au Maroc. 24 sont morts au combat, 9 des suites de leur blessure au combat, 3 de maladie et 1 est porté disparu sans précisions.
10 sont morts en 1914 , 9 sont morts en 1915 ; un dixième avait été répertorié puis a été indiqué prisonnier de guerre. 8 sont morts en 1916 ; 5 sont indiqué en 1917 et 4 en 1918 2 sont morts en 1919 des suites de leurs blessures.

Sur 38 hommes, nous n'avons pas de renseignement pour l'un d'entre eux.
Sur les 37 restants on trouve un officier (Chef de bataillon) domicilié à Giroussens mais né à Paris ; on trouve un adjudant, un sergent (domicilié à Giroussens mais né à Lyon) et trois caporaux.
Tous les autres (31) sont des soldats dont deux soldat de 1ère classe.

BERTRAND Etienne Firmin, pour lequel nous n'avons pas d'indication (pour cause d'information à caractère médical) est très certainement mort des suites d'une blessure au combat ou de maladie.
Sur 37 soldats étudiés, 35 ont servi dans l'Infanterie, un dans la cavalerie ; encore que ce dernier affecté au 1°Rgt de Hussards de Béziers a été versé rapidement dans un régiment de Cuirassiers à Pied (8°RCP) faisant service d'Infanterie ; et un dans le Génie, dans un détachement de télégraphistes. 3 sur 35 faisaient parti des Chasseurs (19°BCP de Verdun, 27°BCA de Menton et 2°BTCA) 6 étaient dans des corps coloniaux (4°, 8° et 24°RIC de Toulon et Perpignan)
Les 26 autres étaient dans des régiments d'infanterie dont 4 dans des régiments de réserve (d'Albi, Castelnaudary et Brive) et un dans le régiment territorial du Tarn (le 128°RIT) envoyé au Maroc.

Sur 21 fantassins des régiments d'active, 15 faisaient partie du 16° Corps d'Armée de Montpellier dont dépendait le Tarn (15°RI d'Albi, 53°RI de Perpignan, 80°RI de Narbonne, 81°RI de Montpellier, 122°RI de Rodez et 143°RI de Castelnaudary) et 6 étaient affecté à des unités d'autres Corps d'Armée (14°RI de Toulouse, 30° d'Annecy, 27° de Dijon, 45° de Laon, 166° de Verdun et 411°RI de Nantes).
Sur 38 soldats tués, 15 faisaient parti du 16°CA, 4 étaient dans des corps de réserves ou territorial de ces mêmes unités (215° ou 343°RI et 128°RIT), 6 dans des unités coloniales venant des 15° ou 16° Région Militaire (Marseille et Montpellier) et 3 autres étaient affectés dans des corps de régions militaires voisines (14°RI du 17°CA de Toulouse, 27°BCA du 15°CA, 326°RIR du 13°CA de Brive). 9 seulement avaient des affectations à des unités plus éloignées géographiquement, dues à des spécificités, des conditions particulières ou des ré-affectations (Bataillon de chasseurs, Officiers, classes 1915 à 1918).

Nous n'avons pas d'indication pour BERTRAND Etienne Firmin. On peut toutefois voir dans ces affectations, la trame habituelle des contingents de cette époque où jusqu'à la guerre de 1914, le service militaire était effectué dans la région militaire d'origine pour la plus grande majorité des hommes.
Cela évolue ensuite durant le conflit en fonction des besoins, des circonstances (ré-affectation suite à blessure, montée en grade…) et de la volonté de réduire l'homogénéité géographique des régiments pour des raisons politiques et militaires.

Nous allons répertorier les conditions particulières de la mort de ces jeunes gens dans la chronologie et nous allons voir que cela nous permet de dresser en même temps un historique des unités militaires du Midi et de retracer par la même occasion l'histoire de tous les " poilus " de notre région. On va y retrouver le parcours du 16°CA de Montpellier, mais aussi des Corps d'Armée Coloniaux et d'autres unités ; tous ont connu les mêmes horreurs et souffrances de cette guerre.

C'est pour leur rendre hommage mais aussi pour prévenir les générations futures des méfaits de la Guerre que nous avons voulu faire cette exposition.

 

Les soldats de Giroussens

 

Au début du 20ème siècle, la 16ème Région Militaire comprenait le Tarn, l'Aveyron, l'Hérault, la Lozère, l'Aude et les Pyrénées Orientales. Elle mettait sur pied en août 1914 le 16° Corps d'Armée, la 66° Division de Réserve (cf. tableaux ci-après) formée de 2 brigades de 3 régiments à 2 bataillons (au lieu de 2 régiments à 3 bataillons dans les divisions actives) et 8 régiments d'infanterie territoriale dont deux (127ème de Castelnaudary et 128ème d'Albi ) iraient au Maroc relever les troupes d'actives aux prises avec la rébellion et qui devaient rejoindre la Métropole. Quant au 24°RIC de Perpignan, il rejoignait le 22° RIC de Hyères pour former la 2°DIC avec les 4° et 8°RIC de Toulon dans lesquels servaient de nombreux tarnais et autres languedociens (le 8°RIC par exemple était formé en août 1914 pour 1/5ème par des tarnais).

à la II°Armée
16°CA

(1°RH Béziers - 322°RI Rodez - 342°RI Mende)
(9°RAC Castres - 2°RG Montpellier - 16°ET Lunel - 16°SIM Perpignan)
31°DI Montpellier
32°DI Perpignan
31°DI Montpellier
3°RAC Castres
61°Bgde
62°Bgde
63°Bgde
64°Bgde
81°RI Montpellier
96°RI Béziers
122°RI Rodez
142°RI Mende-Lodève
53°RI Perpignan
80°RI Narbonne
15°RI Albi
143°RI Castelnaudary
Au 5ème Groupe de Division de Réserve
Au Corps d'Armée Colonial (IV°Ar.)
66°DR
2°DIC
131°Bgde
132°Bgde
4°Bgde C
6° Bgde C
215°RI Albi
253°RI Perpignan
343°RI Castelnaudary
280°RI Narbonne
281°RI Montpellier
296°RI Béziers
4°RIC Toulon
8°RIC Toulon
22°RIC Hyères
24°RIC

Dès le 5 août, les premiers bataillons de la 31ème Division quittaient leurs casernements pour l'Est du Pays suivi par ceux de la 32ème Division dont les derniers éléments partaient le 9 août. Le 16°CA, entrant dans la composition de la II° Armée, devait rejoindre par voie ferrée la région de Mirecourt puis se concentrer aux abords de Lunéville. La 66° DR entrait elle dans la composition du 5° Groupe de Divisions de Réserve regroupé vers Belfort pour prêter main forte à la I° Armée ou au Détachement d'Armée de Haute Alsace. Pour sa part la 2°DIC et le CAC faisaient partie de la IV° Armée regroupée vers Bar-le-Duc. Ces dispositions de concentration d'Armée s'effectuaient du côté français dans le cadre du " Plan XVII " qui consistait à fixer le maximum des forces allemandes à la frontière en lançant un détachement d'Armée de Haute Alsace et les I° et II° Armées à l'offensive en Alsace et en Lorraine. La III° Armée suivie ou bordée par la IV° Armée (selon la variante retenue en fonction des mouvements allemands) devait alors se lancer dans les Ardennes afin d'enfoncer le flan gauche de l'ennemi en marche vers l'ouest, tandis que la V° Armée restait sur la Meuse faisant front aux allemands qui tenteraient un débordement en violant la neutralité belge.

Commandé par le Général Taverna, le 16°CA débarquait bataillon par bataillon dans les gares de Mirecourt et de Hymont-Mattaincourt. Partis les 5 et 6 août, les premières troupes arrivaient les 7 et 8 août après 48 heures de train. Dès leurs débarquements, les diverses unités regroupées se dirigeaient par Bayon et Lunéville vers la Frontière, la 31ème Division en tête et la 32ème en réserve. La progression se faisait alors par étape (c'est à dire à pieds) et comme l'indique l'historique du 96ème d'Infanterie ce n'était que le début d'une série de marches pénibles.

Conformément au plan XVII, les I° et II° Armées s'avançaient en Lorraine, la première dans la troué de Sarrebourg, la deuxième vers Château-Salins et Morhange. L'offensive des 3 corps de la II° Armée (20° CA de Nancy, 15° CA de Marseille et 16°CA) débutait le 14 août par des feux d'artillerie lourde allemands qui se repliaient sans combattre. La 6ème Armée allemande du Kronprinz de Bavière cherchait à attirer la II° Armée française dans la nasse que représentaient la Sarre et le Nied. Le 16°CA passaient la Frontière le 15 vers Xousse, Vého et Reillon avec mission donnée à la 31° Division de forcer le Canal des Salines (à travers une zone boisée et marécageuse) en débouchant par les Bois de Colmery et du Mühlwald. Le 17, la Division bordait le canal tandis que le 15°CA occupait Dieuze et le 20°, Château-Salins. Inquiet des possibles réactions ennemies, Castelnau demandait quand même à ses corps de pousser plus avant, sur ordre du GQG de Joffre. La réaction allemande était immédiate, et depuis Metz, la 6ème Armée allemande lançait une imposante contre-attaque.

Face à la 31°DI qui débouchait des bois de Colmery et de Mühlwald, les Allemands attendaient maintenant les Français avec une puissante artillerie sur des positions bétonnées. Malgré les efforts des artilleurs du 56° Régiment et le courage des fantassins, la progression française était stoppée. Pour la seule journée du 18, le 122ème RI enregistrait 510 tués, blessés ou disparus et le 142ème près de 1200. Les manuels tactiques des officiers français prescrivaient l'offensive à outrance comme seule tactique valable. Les compagnies étaient lancées à découvert, en tirailleur au devant des canons et des mitrailleuses allemandes. Lorsque le 19 août, la 32°DI relevait la 31°DI, les 53ème, 80ème et 143ème Régiment qui progressaient un peu à travers le Bois de Mülhwald, étaient ensuite obligés de se replier face à la contre-attaque allemande. Les colonels des 53° et 143° RI, ainsi que le Général Diou, commandant la 63° Brigade se faisaient tuer à la tête de leurs hommes qui ne cédaient le terrain que pied à pied dans des combats acharnés. Le 20°CA était défait à Morhange et les deux corps du Midi étaient contraints au repli. Au matin du 20 août, Castelnau devait ordonner un repli général de toute la II° Armée, tandis qu'à la I° Armée, le 8°CA venait d'être rejeté de Sarrebourg par la 7ème Armée allemande. Dubail décidait alors le repli de sa I° Armée pour maintenir la liaison avec celle de Castelnau.

C'est ce 20 août que le premier enfant de Giroussens tomba en Lorraine, au Bois Vulcain à proximité de Rorbach, lors du premier engagement de son régiment et de sa Brigade. Dans la soirée du 19, la 63° Brigade avait occupé la lisière est de la forêt de Vulcain. Les 53° et 80° régiments se tenaient maintenant en première ligne. Le 20, à partir de 6 h, après un violent bombardement, à leur tour, les Allemands prirent l'offensive. Les positions furent maintenues jusqu'à 11 h mais, en présence de forces ennemies considérables, la Brigade dû céder un peu de terrain. Un retour fut ordonné vers midi. Le général Diou, commandant la 63ème Brigade, le colonel Arbanère et le chef de bataillon Jacques, du 53ème se portèrent en tête des troupes d'assaut et, le sabre à la main, exaltèrent leurs troupes par leur énergie, leur ardeur et leur esprit de sacrifice. Ils tombèrent tous les trois mortellement atteints avec de nombreux soldats de la 63ème Brigade dont Charles GARRIGUES du 80°RI. L'ordre de se replier sur les hauteurs de la Meurthe, était alors donné.

 

Le 21, la 62ème Brigade (122ème et 142ème RI) après son premier combat du 18 août et son repli des 19 et 20 avait pour mission de protéger la retraite de la 31ème Division sur Embermenil. Après un répit, le 21, les forces allemandes reprenaient l’offensive le 22 face aux corps de Castelnau installés sur le Grand-Couronné de Nancy et sur la Meurthe. Débouchant de la forêt de Parroy, les Bavarois tombaient sur la 31°DI, au nord-est de Lunéville et s’emparaient du village de Bonviller. Le 96ème Régiment d’infanterie le reprenait à la baïonnette mais ne pouvait se maintenir sous la pression du feu allemand. Le 122ème exécutait une violente attaque sur Assenoncourt, et parvenait à arrêter momentanément l’avance de l’ennemi.


Le 22, l’ennemi ayant contourné par le nord la forêt de Parroy, attaquait les avant-postes. Le 2ème bataillon le repoussait et s’emparait de la ferme de la Rochelle en avant de Jolivet.

 

Le 22, la retraite sur Bayon était générale. L’artillerie déployée sur la rive droite de la Vezouse permettait le repli de la 31°DI. Castelnau avait prescrit un repli, abandonnant Lunéville pour se porter au sud de la ville sur un terrain plus facile à défendre avec quatre cours d’eau orientés dans la même direction.


Au soir du 22, il faisait donc retraiter les deux divisions du 16°CA qui s’étaient brillamment battues pendant plusieurs heures. Les pertes étaient telles que les bataillons se reformaient à trois compagnies au lieu de quatre. Le 1er bataillon du 122°RI n’en avait plus que deux. C’est là, près de Lunéville que tomba Albert PAPAYS, disparu au combat lors de cette effroyable retraite où son régiment subit une véritable hécatombe (plus de 500 hommes perdus le 18 août et presque autant le 22 août qui est le jour ou l’Armée française subit le plus de perte de toute la guerre et peut être de son histoire).


Voici comment Jules Blatgé, alors jeune réserviste graulhetois, relate la retraite du 15ème RI dans son carnet de guerre : « Ils avaient avancé en Alsace de quarante kilomètres, ils reculèrent bien de quarante kilomètres dans le cœur de la France pour trouver un renfort indispensable […] Nos soldats exténués de fatigue marchaient nuit et jour […] par une chaleur épouvantable, une soif dévorante et ne mangeant presque pas[…]Nos hommes, tellement la fatigue était grande, avaient laissé leur sac dans les fossés, leurs cartouches, parfois les plus fatigués, leur fusil. »

le 21 au soir, le 15°RI etait aux abords de Lunéville ; le 22, plus en arrière, à Frambois ; l’espoir de contenir la lourdes masses ennemies qui débouchaient de la forêt de Moudon etait vain : Le kronprinz de Bavière, maître de Lunéville, avançait vers la trouée de la Moselle entre Bayon et Charmes. L’armée française continuait son recul ; les Bavarois qui venaient de s’emparer de Gerbéviller se rendaient maîtres de Rozelieures, où ils organisèrent rapidement leurs tranchées que dissimulaient de hautes avoines. La manœuvre allemande dévoila, dans son ensemble, toute sa menace, si elle arrivait à disjoindre, à séparer l’Armée de Lorraine de l’Armée des Vosges ; ce serait, par la trouée élargie, la ruée sur Nancy, le pivot autour duquel le général Joffre opérait la retraite méthodique des armées françaises, ébranlées ; ce serait la victoire de la Marne compromise déjà dans ses possibilités. C’etait à cette minute angoissante et lourde d’avenir que, pour la première fois, le 15ème régiment d’infanterie etait jeté tout entier dans la bataille.


Le 25 août, à 2 heures du matin, le 15ème recevait l’ordre de se diriger sur Borville pour être mis à la disposition du général commandant la 64ème brigade, qui commandait le groupement de Borville (quatre bataillons des 233ème et 230ème d’infanterie, le 143ème régiment d’infanterie, deux groupes d’artillerie). Il fallait reprendre Rozelieures. Une première attaque exécutée à 9 heures par quatre bataillons des 230ème et 233ème RI venait d’échouer. A midi, le 15ème RI recevait l’ordre de se porter à l’attaque ; trois groupes d’artillerie le soutenaient ; le 143ème RI et des éléments du VIII° C.A. devaient appuyer le mouvement sur la droite. Le 15ème, formé en colonne de régiment sur la croupe située au sud-est du village de Borville, se portait à l’attaque. Alignés dans un ordre parfait, comme pour la manœuvre, les sections s’élançaient sur un vaste glacis absolument dénudé et très découvert, qui couvraient une profondeur d’environ trois kilomètres. Les bataillons, cibles apparentes et faciles, étaient immédiatement soumis à des rafales d’artillerie d’une violence extrême, qui trouèrent les rangs ; en même temps, une vive fusillade faisait subir de grosses pertes ; le nombre des blessés etait considérable. Les pertes sensibles semblèrent un moment briser l’élan de l’attaque ; désemparés, un certain nombre d’hommes dont les chefs venaient d’être tués se portèrent vers le bois de Lalou. L’ennemi, dissimulé dans ses tranchées, caché par les hautes avoines, continuait son puissant feu. Les lignes françaises cependant ne reculaient pas. Des compagnies décimées, méthodiquement se reformaient.

L’ascendant de nombreux sous-officiers, permettait une reprise en main des groupes de combat. Soudain, vers 18 heures, les sections se dressèrent et s’avancèrent à nouveau ; elles franchirent la petite rivière de l’Euron et progressèrent résolument sur le village de Rozelieures ; la pente qui y menait fut gravie. L’ennemi avait fui, laissant de nombreux morts et blessés ; le village de Rozelieures etait conquis par le 15ème RI. Entraînés par l’élan des bataillons du 15ème RI, le 143ème RI et les éléments qui, avec lui, avaient appuyé l’attaque sur la droite, se portèrent sur la nouvelle ligne. Battus, refoulés, les Bavarois s’étaient repliés sur la rive gauche de la Mortagne. La prise de Rozelieures par le 15ème RI marquait sur le front de la II° Armée l’arrêt définitif de l’avance allemande. La journée du 25 août avait été sévère pour le 15ème RI ; six officiers étaient tués, quinze blessés, dont le lieutenant-colonel BEUVELOT, commandant le régiment, ainsi que deux chefs de bataillon ; les pertes étaient de 633 hommes dont le Sergent André VILLIEN, de Giroussens, inhumé à Borville.

 

Le jeune giroussinais BOUTIBONNES, qui allait mourir quelques mois plus tard avait écrit en mars 1911, lors de son service militaire, une chanson qui semblait prémonitoire pour ce sous-officier :

 

Malgré ces destins tragiques, l’élan était donné et déjà à 15 heures ce 25 août, Castelnau avait lancé son ordre du jour : « En avant, partout, à fond ! ». La 63ème Brigade s’emparait de la briqueterie d’Envaux et du Bois de Jontois. L’ennemi reculait de 7 kilomètres et le soir, le 3°RAC tirait en vue directe sur les dernières colonnes allemandes retraitant en désordre. Moriviller et La Naguée étaient repris tandis que le 15°CA s’approchait de Lunéville ou les Allemands se retranchaient et qu’ils ne tarderaient pas à abandonner.

Le 27, la 31°DI attaquait Gerbéviller qui n’était repris que le 29 aux termes de combats acharnés puis libérait Fraimbois au sud-est de Lunéville. Lourdement éprouvées, les unités du 16°CA faisaient maintenant face aux bavarois  dans l’impossibilité d’avancer à nouveau et qui allaient se résoudre à maintenir la pression sur Nancy dès le 4 septembre afin de fixer les 2 armées françaises de l’Est pendant que la bataille allait maintenant se jouer au nord-ouest. Mais, Joffre, rassuré par l’attitude de Castelnau et de Dubail allait prélever plusieurs corps sur les I° et II° Armées. Affaiblies par ces transferts, elles étaient donc condamnées à une attitude de défensive mais c’est de la solidité de leur résistance en particulier sur le Grand-Couronné qu’allait dépendre la manœuvre conduite sur la Marne. Durant près d’un mois, les unités du 16ème CA durent assurer la défense de la Lorraine, devant Nancy et Toul, pendant la Bataille de la Marne.

C’est le 16 septembre, dans la forêt de Parroy, que tombait Joseph MELOU, du 80ème RI, tué à l’ennemi.

Le 21 septembre, le 16ème Corps d’Armée recevait l’ordre de se porter en une seule colonne dans la région de Fontenoy-sur-Moselle. Le 22, l’ordre arrivait de prendre l’offensive dans la direction générale Flirey-Essey ; la 32ème Division formait la réserve d’Armée. Il s’agissait de stopper une attaque allemande en Woëvre.

Le 23, la division entrait en ligne entre la 31ème et la 73ème Division de Réserve, ayant comme objectif le bois de Mort-Mare et le bois d’Envezin. Les bataillons essayaient de déboucher, mais étaient accueillis par des salves d’artillerie bien réglées.

Le 24 septembre, dès la pointe du jour, le 53ème attaquait le bois de la Voisogne, solidement tenu par des mitrailleuses qui produisirent des pertes considérables dans ses rangs. On put s’avancer jusqu’à 400 mètres du bois, mais il fut impossible ce jour-là, malgré de nombreuses tentatives et des efforts inouïs, de s’emparer de la lisière sud du bois de la Voisogne.


On creusa des tranchées, on se cramponna au terrain ; le 3ème bataillon du 53ème RI fit face à une contre-attaque ennemie venue du bois de la Hazelle et la repoussa. Ce régiment fut relevé dans la nuit par le 342ème et alla cantonner à Noviant-les-Prés.

Les 25 et 26 septembre, la 63ème Brigade etait en réserve. L’ennemi se retirait ; on le poursuivit par Minorville, dans la direction de Bernécourt et de Flirey. Successivement, l’Allemand etait chassé des bois de Hazelle et de quelques éléments de tranchées qu’il occupait à l’ouest de Flirey, mais le bois de Mort-Mare etait fortement occupé par l’ennemi et la progression devint très difficile. Le bois de la Voisogne etait à nouveau attaqué par le 80ème d’Infanterie le 27 septembre.

A la 31° DI, le 81ème régiment alerté le 21 septembre, se portait vers le nord-ouest afin de couvrir Toul. L’ennemi attaquait en force venant de Bernécourt. Le 22 par une action de nuit il etait arrêté, bousculé et refoulé jusque derrière Bernécourt. Le 23, le bois de la Hazelle au nord de ce village etait atteint. Le 24 nous nous y installions. Après ces jours et ces nuits de perpétuelle fièvre, le 81ème prenait du repos à partir du 29 dans la région de Grosrouvres. Le 30, dans ce village, une prise d’arme eut lieu pour la remise au caporal de Gironde de la première Médaille Militaire du régiment. Mais dès le 1er octobre, il était de nouveau engagé. Il occupait tour à tour les tranchées (dont l’usage s’établit dès lors) des bois de Remières, de Jury et de la Hazelle. C’est lors de l’engagement du 1er octobre que Joseph Lucien Mathurin VALATX fut porté disparu au combat.

Les combats des 1er, 5 et 6 octobre avaient permis en moins de dix jours, de gagner plusieurs kilomètres. Les hommes se familiarisèrent avec les nouveaux procédés de combat : on employait déjà la grenade ou plus exactement le pétard à palette ; les boucliers, le sac à terre étaient utilisés. On posait des fils de fer, ébauche des futurs réseaux de barbelés profonds d’une dizaine de mètres. La guerre en quelques jours changea d’aspect.

Cérémonie au 81°RI en septembre 1914 ; un bombardement du PC du régiment avait déchiqueté le drapeau et blessé plusieurs officiers et soldats.


Pendant ce temps, le 128°Régiment d’Infanterie Territoriale formé le 12 août 1914 à Albi avec des hommes des classes les plus anciennes (1893 à 1899) avait été dirigé sur le Maroc via Sète. Les 15 et 16 août, l’Etat-Major et le 1er bataillon embarquaient sur l’ « Alda » pour Casablanca pendant que les 2ème et 3ème bataillons, étaient pris par le « Médie » qui débarqua ces unités à Méhédya.

Le rôle que joua le 128e R.I.T. et les quelques autres bataillons territoriaux envoyés au Maroc fut défini par le Général LYAUTEY dès la déclaration de guerre : « Pas un pouce de terrain occupé ne sera abandonné ; le front ne sera donc pas dégarni. Agir autrement serait l’effondrement de l’action française ; le Maroc mis à feu et à sang ; la révolte presque assurée et gagnant l’Algérie, la Tunisie, si ardemment travaillées par les émissaires allemands. En conséquence, au lieu de laisser ou de ramener à la côte les effectifs dont dispose la Colonie, ce sont au contraire les troupes de la côte qui seront jetées en avant. A tout prix, il faudra se maintenir sur l’Atlas, garder intacte l’armature de nos postes. »

Aussi, dès leur arrivée au Maroc, les bataillons territoriaux étaient envoyés soit dans les postes de l’avant, soit employés dans des tournées de police. Ils relevèrent les unités actives envoyées en France et il semble que la guerre ne changea rien au plan de conquête en exécution.

Arrivé le 19 août à Mehediah, le 3ème Bataillon etait dirigé sur Kenitra puis sur Meknès. Dès son arrivée à Meknès, la 9ème Compagnie était mise en route sur El-Hadjeb avec la 10ème Compagnie. La 11ème Compagnie était envoyée à Oulmes. La 12ème Compagnie stationnait à Meknès. Au mois de novembre, la 9ème Compagnie quittait El-Hadjeb pour occuper Marchand, Maaziz et Merzaga. Le 4 novembre 1914, Joseph AZEMA décéda à Mekhnès des suites de maladie contractée en service. Il faut noter que la plupart des pertes au Maroc où il eut tout de même de nombreux accrochages avec les rebelles indépendantistes, furent principalement dû aux maladies contractées par les territoriaux sensibles aux épidémies. On pourrait penser que les régiments territoriaux envoyés au Maroc, en Algérie ou en Tunisie étaient loin de la guerre, qu’ils en ignoraient les peines et les dangers ; mais il faut se rendre compte que ces troupes ont éprouvé privations et souffrances, et ont payé un large tribut à la maladie et à la mort. Elles ont fait tout leur devoir dans des conditions d’existence rendues pénibles par le climat, par l’insalubrité de l’eau, par le manque de tout, dans l’éloignement de tout, dans l’isolement absolu, loin de la métropole et souvent ne pouvant profiter de permissions de détente à cause de la rareté des paquebots, des longs jours, des longues semaines de stages ruineux et déprimants dans les ports en attendant le bateau de retour.

Groupe de territoriaux tarnais du 128ème Régiment Territorial d’Infanterie au Maroc, en 1914


Du côté des coloniaux, en août 1914, la 2°DIC entrait dans la composition du Corps d’Armée Colonial, affecté à la IV° Armée (De Langle de Cary) tout comme le 17ème Corps de Toulouse. Primitivement laissée en réserve à l’ouest de la Meuse, cette armée était orientée vers la région de Stenay dès que les Allemands accentuaient leur vaste mouvement tournant par la Belgique. Elle venait donc prendre place entre les III° et V° Armées. Concentré dans la région de Bar-le-Duc, le CAC se déplaçait à partir du 11 août selon l’axe Dombasle-en-Argonne, Dun-sur-Meuse (la Meuse était franchie le 16 entre Vilosnes et Dun), Stenay (où il stationnait à partir du 17). La 2°DIC était en réserve de corps d’armée entre Chauvency-le-château et Stenay. Le 21 août, l’offensive générale des III° et IV° Armée était ordonnée afin de tomber sur le flanc des cinq Armées allemandes que l’on croyait toutes en marche vers l’ouest. Mais les 4° et 5° Armées allemandes avaient pivoté le même jour sur leur gauche et faisaient maintenant face aux deux armées françaises. C’était des armées deux fois plus puissantes que prévu (dix corps au lieu des cinq imaginés par l’emploi d’unités de réserve accolée à des unités d’active), bien retranché sur un terrain boisée et disposant de moyens d’artillerie bien supérieurs, que devaient alors affronter les corps d’armées français dans une bataille de rupture. Entamé le plus souvent en colonne de marche, dans les pires conditions, la bataille était un échec partout, sur le front entier des III° et IV° Armées. Après la Bataille de Rossignol et une longue retraite ponctuée de combats de retardement, le CAC s’arrêta le 5 septembre au sud de Vitry-le-François et se regroupa. La contre offensive générale était alors décidé pour le 6, sur la Marne.

Joffre lançait son ordre du jour transmis le matin même :
« Au moment où s’engage une bataille dont dépend le sort du pays, il importe de rappeler à tous que le moment n’est plus de regarder en arrière ; tous les efforts doivent être employés à attaquer et à refouler l’ennemi. Une troupe qui ne peut plus avancer devra, coûte que coûte, garder le terrain conquis et se faire tuer sur place plutôt que de reculer. Dans les circonstances actuelles, aucune défaillance ne peut être tolérée ».

La fin de cet ordre du jour laissait planer les menaces des exécutions sommaires qui longtemps resteront ignorées par l’Histoire de France.

La IV° Armée avait reculé sur une ligne qui s’étendait de Sommepuis à Sermaize ; le CAC se regroupait à l’est de Vitry-le-François, le gros de la 2°DIC s’échelonnant de Villotte à Blaise-sous-Arzillières. En pointe par rapport aux autres corps de la IV° Armée, les deux divisions coloniales allaient supporter dès le 6 septembre, au matin, les attaques allemandes sur Luxèmont, Villotte et Vauclerc. Pendant 2 jours les coloniaux faisaient front seul, jusqu’à l’arrivée du 2°CA. La 2°DIC devait supporter le choc adverse et le point d’appui du Mont Moret changeait de mains à quatre reprises.

Le 10, les attaques allemandes cessaient mais de violents bombardements de leur artillerie pilonnaient les positions françaises. Le 11, au matin, la fusillade et la canonnade cessaient et c’etait le repli allemand. En effet, l’attaque de l’Armée Maunoury sur l’Ourcq, dont l’existence avait été dissimulée assez longtemps aux renseignements allemands avait permis sinon de percer le flanc droit de la 1° Armée allemande, mais d’obliger Von Kluck à décaler son armée vers l’ouest. Ce faisant, un vide était créé entre les 1° et 2° Armées allemandes. Cette favorable situation n’était pas exploitée mais elle obligeait tout de même les Allemands des 1° et 2° Armées à un repli vers le nord dès le 9 septembre. La stupéfiante résistance des III°, IV° et IX° Armées françaises sur la Marne pendant encore deux journées face aux 3°, 4° et 5° Armées allemandes allaient parachever le « miracle de la Marne » que Von Kluck allait ainsi résumer : « Que des hommes se fassent tuer sur place, c’est là une chose bien connue et escomptée dans chaque plan de bataille. Mais que des hommes ayant reculé pendant dix jours, que des hommes couchés par terre, à demi-morts de fatigue, puissent reprendre le fusil et attaquer au son du clairon, c’est là une chose avec laquelle nous n’avions jamais appris à compter ; c’est là une possibilité dont il n’a jamais été question dans nos écoles de guerre».

D’abord prudemment lancée par le CAC, la poursuite débutait dès le 12 septembre, vers le nord, en deux colonnes ; la 3°DIC à l’est et la 2°DIC à l’ouest, sur l’itinéraire Bassuet, Vanault-le-Châtel. A part le 13, où l’ennemi faisait front par des tirs d’artillerie, les Allemands se dérobaient et les têtes de colonnes atteignaient Valmy et Braux-Sainte-Cohière dans la soirée. Mais le 14 septembre, les coloniaux, épuisés par une avancée de 25 kilomètres en 2 jours se heurtaient à des positions solidement organisées sur la ligne Beauséjour, Massiges, Ville sur Tourbe. La 2° DIC attaquait les 14 et 15 septembre mais le bastion naturel que représentait ce secteur qui bientôt prendrait pour nom « la main de Massiges » allait résister quatre années. Un engagement important avait lieu les 25 et 26 septembre, suite à une attaque allemande au nord de Minaucourt ; lors de la contre attaque, le 24ème RIC s’emparait du drapeau du 69ème Régiment allemand et de 300 prisonniers, au prix de 470 tués. Mis à part ce combat, la période qui débutait sur cette partie du front se résumait à de meurtriers duels d’artillerie et de mousqueterie. L’Etat-Major ne décidait que le 1er octobre l’établissement d’un réseau méthodique de tranchées et de boyaux. On avait mis quinze jours avant de comprendre que la guerre de mouvement était finie. On rentrait dans une guerre de positions.


La ligne occupée par le 4°RIC, accrochée aux pentes sud de la Main de Massiges, entre la côte 191 et le ruisseau de l'Etang, etait complètement dominée par les tranchées ennemies qui couronnaient la crête. Tout mouvement de jour y était impossible : les patrouilles ne pouvaient se déplacer que très prudemment, devant un ennemi très vigilant et d'autant plus actif qu'il se sentait fortement soutenu par une nombreuse artillerie.

Du 17 au 26 septembre, l'ennemi ne manifesta pas d'activité sérieuse sur le front du Régiment. Les unités profitaient de ce calme relatif pour organiser leurs positions, mais les travaux très pénibles, ne pouvaient s'effectuer que la nuit. Le village de Massiges où les unités étaient en réserve à tour de rôle étant quotidiennement bombardé par l'artillerie ennemie, finit par être abandonné et les hommes couchaient en permanence dans les tranchées qui furent approfondies et aménagées en conséquence : banquettes de tir, niches individuelles, créneaux. Pendant quelques jours les pertes occasionnées par le tir de l'artillerie allemande, continuaient cependant à être fortes, en raison du manque de boyaux et de l'insuffisance des tranchées hâtivement construites avec les outils portatifs. La distribution des outils de parc et l'organisation des travaux sous la direction des gradés du génie, permettaient d'améliorer la situation.


Le 26 septembre, à 4 heures, profitant d'un brouillard intense qui rendait presque invisible les tranchées, l’ennemi attaquait sur tout le front de la Division. Le 8°RIC résistait sans céder un pouce de terrain, mais à droite, la côte 191, tenue par le 4e R.I.C., était perdue, et à gauche, la 6e B.I.C perdait la côte 180 et était rejetée au sud du Marsous. Par une brillante contre-attaque, un bataillon du 4e R.I.C., renforcé par une compagnie du 8e R.I.C. réoccupa dès 6 heures la côte 191. Vers 7 heures, une deuxième contre-attaque était déclenchée sur la côte 180 ; exécutée par le 24e R.I.C. et le 2e Bataillon du 8°RIC, elle permettait de récupérer tout le terrain perdu.

A partir de cette date, la guerre de mines commença. De part et d'autre, on travaillait avec ardeur et sans relâche, à organiser méthodiquement la position, à réparer les dégâts causés par l'artillerie adverse, à fortifier les réseaux des défenses accessoires, à aménager des abris, à préparer des mines ou des contre-mines. Les quelques engagements de patrouilles, de reconnaissances, n'arrêtaient que momentanément cette ardeur. Les travaux étaient poussés très activement, et les pertes diminuaient de jour en jour. Mais cette guerre de mines était énervante et les hommes avaient l'impression d'être sur un véritable volcan. Cependant, c'est avec une opiniâtreté qui mérite de rester légendaire, que nos braves coloniaux disputaient à l'ennemi le droit d'occupation des immenses entonnoirs, creusés par les nombreuses mines ennemies. Malgré leurs vigoureuses et nombreuses tentatives locales, les Allemands, dans les sous-secteurs du Médius et de l'Annulaire, occupés par des fractions du Régiment, ne pouvaient obtenir aucun résultat appréciable.

Entre temps un tour régulier de relève avait été organisé dans la Division. La 4e B.I.C. se relevait avec la 6e B.I.C. Le Régiment, tantôt relevé par le 22ème tantôt par le 24ème R.I.C., passait successivement huit jours en ligne et quatre jours au repos à Courtemont. Dans ce village de la Champagne agricole, les hommes étaient logés dans de grandes granges, mal fermées, mal éclairées.

Toute idée de grande offensive devait être écartée pour quelque temps, par suite de l'hiver qui s'annonçait pluvieux et froid. Le 6 novembre, probablement lors d’une patrouille ou d’un tir de mine, Léopold AUZEL, du 4°RIC était tué à l’ennemi.

Léopold AUZEL, vers 1902 à l'époque de son service militaire au 143ème Régiment d'Infanterie de Castelnaudary.
A la mobilisation en 1914, il sera affecté au 4ème Régiment d'Infanterie Coloniale de Toulon
.

A cette même époque, le 16°CA était transporté dans les Flandres au secours des Armées belge et Britannique. Retardée par sa montée en ligne dans le Soissonais, la 32ème DI, partie les 29 et 30 octobre de Le Meux, au sud de Compiègne, arrivait les 30 et 31 à Hazebrouk et Poperinghe. Transportés sur le front en auto-camions, ses régiments renforçaient la 31ème DI en attaquant devant Wytschaete, perdu la veille par les Anglais. Ces derniers avaient été fortement ébranlés les jours précédents et alors qu’ils commençaient à évoquer un rembarquement, Foch, qui avait pris le commandement des armées du Nord, parvenait en ces termes, à convaincre French qu’il était possible de continuer la lutte : « Je vous donne huit bataillons de la 32èmeDivision que m’envoi le général Joffre. Prenez-les, et repartez. Moi, j’attaque à droite et à gauche ». Le 143ème RI, recomplété par des renforts allait prendre, perdre et reprendre Wytschaete à cinq reprises ; de sorte que le 11 novembre, il ne restait plus que 360 hommes au régiment. Le 7 novembre, Jules Blatgé témoigne de ces évènements : « Il y a six jours que nous sommes en première ligne sous les obus et les balles, ça barde beaucoup ici. La nuit du 4, le 143ème a du supporter l’assaut des allemands. Ils veulent rentrer coûte que coûte, jamais on n’avait assisté à pareil carnage, ils ont beaucoup d’artillerie et tirent presque sur leurs lignes[…] le 6 à dix heures, nous avons reçu une secousse de tremblement de terre que nous ne pouvons pas comprendre (il devait connaître là sa première expérience de la guerre de mines - ndla)… il nous a fallu évacuer notre tranchée et se porter un peu plus à l’arrière… ». Le 16ème corps était arrivé « in extremis », avant la rupture des lignes de défenses anglaises.

Carte de la région  d’Ypres et du Mont Kemmel.

Le 8 (et jusqu’au 13), le 81ème était déplacé au sud, vers Zillebecke afin de contenir les attaques allemandes qui venaient de refouler là aussi les Anglais. Dans des conditions climatiques difficiles, sur un sol boueux, les unités du 16°CA allaient lutter chaque jour, du 2 au 14 novembre 1914 et enrayer chaque fois les attaques allemandes devant Ypres. Le 9 novembre 1914, Joseph CLOUP du 15°RI tombait à Pilkem (près d’Ypres en Belgique) et deux jours plus tard, le 11 novembre 1914, ce fut au tour de Clément BOUTIBONNES, du 80°RI, tué à Wytchaëte.


Le 27°BCA (formé à Menton), du 15°CA de Marseille, composé d’ardéchois, de provençaux et de pyrénéens avait été envoyé (avec plusieurs autres bataillons de Chasseurs Alpins) dans les Flandres en renfort et tint les tranchées à Ypres, Poperinghe et Langemark aux côtés du 16°CA ; puis le 27 décembre, il était transporté au nord d’Arras afin d’attaquer le village de Carency (dans le Pas de Calais). Célestin ESCOUTE, tomba là, le 28 décembre 1914 au côté de 500 autres hommes de son bataillon.

Ruine de Carency (Pas de Calais) Fin 1914

Depuis le 14 décembre, une grande action offensive en liaison avec les Anglais avait été entreprise par toute la 8ème Armée en direction de Hollebecke et Hauthem. La 63ème brigade attaquait par régiments accolés. Le 53ème ayant un bataillon en première ligne (3ème bataillon sous le commandement du capitaine Nicolai) attaquait le bois du Confluent. A 7h45, malgré une violente préparation d’artillerie, le bataillon se portait en avant, mais ne pouvait franchir, en raison de la violence de la mitraille ennemie, les réseaux de fil de fer de notre première ligne et était obligé de se placer dans des tranchées abandonnées et remplies d’eau. Impossible d’avancer dans le jour, mais à la faveur de la nuit, le 3ème bataillon se porta en avant et réussit à gagner du terrain qui, rapidement, est organisé. Le 15 décembre, il était relevé par le 2ème Bataillon de Chasseurs.

Le 16, le régiment attaquait à nouveau le bois 40 et réussissait, malgré la violence du feu ennemi, à s’avancer à 80 mètres environ de la lisière du bois. Au cours de cette attaque, le 53ème subit des pertes sérieuses ; cette lutte perpétuelle, alternant avec des courts repos, se poursuivit avec ténacité dans les tranchées à l’est et au sud d’Ypres jusqu’au 17 janvier. Augustin RANDOU clôtura les combats des Flandres et débuta la douloureuse liste des morts de la commune pour l'année 1915. Il tomba au Bois 40, en Belgique, le 5 janvier 1915.

Après la « Course à la Mer », le front s’était partout stabilisé ; la guerre s’enlisait. Le haut commandement voulait sortir d’une situation indécise qui pourrait se prolonger et répondit à la pression des russes qui subissaient des revers à l’Est. Joffre décidait donc d’attaquer dès la mi-décembre sur deux secteurs simultanément : L’Artois et la Champagne. 3 régiments de réserve du Midi étaient présents en Artois au sein de la 58°DR. Mais c’est surtout en Champagne que les méridionaux ont combattu. Le Corps d’Armée Colonial et le 17°CA de Toulouse faisaient partie de la 4°Armée qui était sollicitée pour cette offensive et se trouvait entre la Suippes et l’Argonne depuis septembre.

Le 20 décembre, le CAC et le 17e corps se lançaient à l’assaut entre Souain et Massiges ; la 33ème division lança trois attaques, fortes de chacune un bataillon après une préparation d'artillerie : l'attaque de droite (un bataillon du 20e régiment d'infanterie de Marmande) se heurta à des réseaux intacts et s'arrêta au pied même de ces réseaux ; il en etait de même pour l’autre bataillon du 20ème qui attaqua au centre. Le bataillon du 207ème d'infanterie de Cahors, à gauche, parvenait jusqu'au bois des Bouleaux, mais ne pouvait y pénétrer.

La 34ème division attaqua avec quatre bataillons de la 67ème brigade : deux du 83ème de St Gaudens, deux du 14ème régiment d'infanterie de Toulouse. Bien que les réseaux ennemis aient été en partie bouleversés par deux fourneaux de mine et par un tir des mortiers de 15, leurs brèches n’étaient pas suffisantes et les vagues d'assaut furent clouées au sol. Seul, un bataillon du 83ème régiment d'infanterie put enlever quelques éléments de tranchées et s'y maintenir. Mais 700 hommes étaient mis hors de combat.

Le 21 décembre, le corps colonial organisait le terrain conquis et repoussait à 11 heures et à 15 heures, deux violentes contre-attaques allemandes. Au 17ème corps, la 33ème Division avait réussi à faire quelques progrès pendant la nuit. A la 34ème division, après une bonne préparation d'artillerie par des 155 et des 75, un bataillon du 83ème régiment d'infanterie et le 59ème étaient lancés à l'attaque, au début de l’après-midi ; ils atteignaient la route de Perthes à Souain et la bordaient.

Le 12ème corps, qui avait pour mission d'attaquer sur Souain et le moulin de Souain, devait déclencher ses attaques à 9h30, après une préparation d'artillerie d'une heure. Malgré l'ardeur des assaillants, et en particulier du 78ème régiment d'infanterie, les attaques échouèrent devant les défenses insuffisamment détruites. Les pertes étaient particulièrement lourdes : 32 officiers et 1300 hommes hors de combat.

Le lendemain, 22 décembre, on se contenta, sur le front de la 4° Armée, d'organiser le terrain conquis et de repousser les contre attaques : le 83ème régiment d'infanterie dut même charger à la baïonnette.

Le 23 décembre, l'offensive continua au 17° corps d'armée. La 33ème Division attaqua la position dite des « Tranchées Brunes ». Quatre cents mètres de tranchées formidablement organisées, flanquées par des canons sous coupoles et des caponnières cuirassées, étaient rapidement conquis par un bataillon du 20ème et un bataillon du 7ème régiment d'infanterie de Cahors, grâce à la précision du tir de préparation des groupes de l'artillerie divisionnaire de la 3ème division. Les tranchées conquises étaient jonchées de cadavres « feldgrau ». Toutes les contre-attaques allemandes se brisaient sous les feux des français. Après ce succès, la 33ème division, avec deux compagnies du 11ème régiment d'infanterie de Montauban, enlevait, le 24 décembre, les importantes positions du bois jaune et du bois des Moutons, et arrêtait toutes les contre-attaques des Allemands, malgré leur violence.

Pendant les journées suivantes des 25, 26 et 27 décembre, les corps de la 4° Armée continuèrent d'organiser les positions conquises, les relièrent par des boyaux de communication aux tranchées de départ et préparèrent, tant par des réglages d'artillerie que par des avancées à la sape, l'attaque future des positions ennemies. Dès le 25 décembre, le général de Langle avait modifié son plan primitif et adressé ses corps de nouveaux ordres. l'effort principal devant être fait par le 17ème corps, le 1er corps et le corps colonial, entre Perthes et Massiges,

Le 17° corps d'armée lançait, le 30 décembre, sa 33ème Division sur les « Tranchées Blanches », ouvrage situé au nord-est de l'extrémité nord des « Tranchées Brunes ». La préparation d'artillerie ne pouvant commencer qu'à 12h30 ; l'attaque etait déclenchée à 14h45.

Le 1er bataillon du 9ème régiment d'infanterie d’Agen enlevait les « Tranchées Blanches » d'un seul bond et les dépassa, suivi par le 2ème bataillon du même régiment, tandis que le 3ème bataillon etait arrêté dans les boyaux. Les 7ème et 20ème régiments d'infanterie restaient au « bois Jaune » et au « bois des Moutons ».

A la 34ème Division, l'attaque etait déclenchée à 15 heures. Mais au 88ème régiment d'infanterie d’Auch comme au 83ème, on éprouva de grosses difficultés pour déboucher des boyaux étroits, où les troupes d'assaut avaient dû être maintenues pour échapper au violent bombardement de l'ennemi. La progression etait nulle.

Les Allemands, à l'aube du 31 décembre, lançaient une violente contre-attaque contre les « Tranchées Blanches » ; ils étaient repoussés avec de lourdes pertes, mais soumettaient les Français à un bombardement terrible. Le mauvais temps, la fatigue des troupes, les faibles allocations de munitions que le G. Q. G. pouvait mettre à la disposition de la 4° Armée, amoindrissaient les efforts. Trois sections du 127ème régiment d'infanterie tentaient de s'emparer du « Fortin » au nord de Beauséjour ; elles échouèrent sous le feu des mitrailleuses ennemies.

Dans la nuit du 7 au 8 janvier, à la cote 200, à quinze cents mètres de Perthes-les-Hurlus, les Allemands, après un très violent bombardement, renversaient le barrage de sacs à terre qui les séparait de nos tranchées et s'emparèrent du saillant. A deux reprises, le 83ème régiment d'infanterie essaya de reprendre à la grenade la tranchée perdue ; mais il échoua.


Fantassins se préparant au lancement de grenade
devant Perthes-les-Hurlus, en 1915


C'est un bataillon frais du 14ème régiment d'infanterie qui, après un tir d'écrasement, pouvait réoccuper le saillant de la cote 200. C’est lors de cette attaque que Célestin ALBY était touché ; il décédait le jour même des suites de ses blessures. Menacés dans Perthes-les-Hurlus, les Allemands évacuaient alors le village dont les ruines, jusqu'à la lisière nord, furent occupées par le 88ème régiment d'infanterie.

Dans la nuit, une violente contre-attaque du 69e régiment d'infanterie allemand sur Perthes et la cote 200, se brisa et coûta 200 tués à l'ennemi.

Le lendemain 9 janvier, après une intense préparation d'artillerie, notre 1er corps entrait en action au nord du bois des Trois Coupures et à l'ouest de Beauséjour. Le « Fortin » etait enlevé mais les hommes ne purent en déboucher. Les troupes étaient harassées. Devant elles, l'adversaire se réorganisait. Les pertes s'accentuaient.

Du 20 décembre au 6 janvier, le 17ème corps de Toulouse avait perdu 89 officiers et 5.256 hommes ; il avait cependant réussi, à hauteur de la cote 200 et de Perthes-les-Hurlus, à reporter à plus de deux kilomètres au nord, notre première ligne. Plus de 5300 tués pour 2 km de territoire reconquis en 2 semaines !

Pour autant, Joffre sommait De Langle de Cary de renouveler ses attaques rapidement afin de ne pas laisser l’adversaire souffler. C’etait la tactique du « grignotage ». Mais les attaques furent successivement ajournées par suite du mauvais temps et l’offensive n’était relancée le 16 février 1915. Mais l’engagement des 1er et 17ème Corps d’Armée puis des 4ème et 2ème se faisait au compte-gouttes et l’attaque piétinait. Pressé par Joffre, le chef de la 4° Armée recevait en renfort les 12ème et 16ème Corps d’Armée qui eurent mission de percer le front d’Auberive et de Souain vers Somme-Py le 27 février. Le Corps d’Armée de Montpellier etait engagé début mars avec le soutien du Corps d’Armée Colonial. Le 7 mars, une première attaque permettait de prendre pied dans le Bois sabot (dont il ne reste que quelques souches au ras du sol) mais il faudrait huit jours pour s’en rendre maître complètement. L’affaire permettait de se rendre compte que les attaques exigeaient une préparation soignée par l’artillerie lourde et de grandes quantités de munitions ; ce qui faisait défaut à ce moment là de la guerre.

Le 6 mars, le 15ème recevait l’ordre pour le lendemain, d’enfoncer les premières lignes ennemies, de s’emparer du Bois Sabot au nord de la route de Souain à Perthes. Il devra ensuite avec le 143ème R.I., exploiter et élargir ses gains, et poursuivre son avance jusqu’au trou Bricot qui est désigné comme objectif ultérieur de l’attaque.

Le 7 mars, après une préparation d’artillerie, le 15ème donnait l’attaque au Bois Sabot, le 1er bataillon sur la face ouest, le 2ème bataillon sur la face sud, le 3ème bataillon en réserve à six cents mètres environ au sud. Les troupes étaient placées à cent cinquante mètres des lignes ennemies dans une tranchée nouvelle creusée en hâte, les nuits précédentes. A 10 heures précises, sur le front des deux bataillons, les clairons que l’on n’avait plus entendu depuis de nombreux mois sonnent la charge ; d’un bond, les sections s’élançaient d’un même mouvement, hors de la tranchée ; les compagnies du 1er bataillon atteignaient rapidement la corne ouest du Bois Sabot, et s’y maintenaient ; celles du 2ème bataillon franchissaient les réseaux de fil de fer, désorganisés par le bombardement ; d’un bord, elles atteignaient la première tranchée allemande. Les Allemands, culbutés nous laissaient des prisonniers et s’enfuirent poursuivis par les nôtres qui s’avançaient vers la deuxième ligne allemande, s’en emparaient et l’organisèrent. Les compagnies d’attaque et les compagnies de renfort, subirent des pertes nombreuses en tués et en blessés et furent privées de la plupart de leurs chefs. C’est au cours de ces combats que tombait le caporal Jean DENARD. Pendant toute la durée de l’attaque et de l’organisation des nouvelles positions, l’artillerie ennemie (lourde et de campagne), bombarda violemment nos nouvelles lignes ; c’est au cours de ce bombardement que fut mortellement blessé ce même jour, le lieutenant-colonel RAUCH, commandement le 15ème régiment d’infanterie.

Dans la nuit du 7 au 8 mars, les compagnies qui occupaient la partie ouest du bois Sabot eurent à résister à plusieurs attaques allemandes débouchant des boyaux de communication ennemis. Au lever du jour, une compagnie allemande attaqua le front est du bois, pendant qu’une autre compagnie attaqua le front nord-ouest, cherchant à tourner le bois Sabot par la corne ouest. Après un reflux de deux compagnies, le 3ème bataillon contre-attaqua à la baïonnette et repoussa l’ennemi à la lisière nord du bois Sabot.

Début 1915 :
Infirmier dans ce qui reste du Bois Sabot.


 

L’extrême fatigue des hommes ne permit pas de songer à pousser plus en avant. Les heures qui suivirent furent employées à organiser la position ; le soir, au moment où le 15ème était relevé par le 143ème régiment d’infanterie, les positions conquises étaient partout maintenues.

Le 8 mars, le 3ème bataillon du 143ème RI s’installait dans la partie conquise du Bois Sabot, et renforçait la position ; le 1er bataillon, dans les tranchées longeant la route Souain-Perthes ; le 2ème bataillon à proximité du boyau conduisant aux premières lignes.

Le 9 mars, le 143ème recevait l’ordre de continuer l’offensive, dans la direction côte 170-Trou Bricot : Objectif du 1er bataillon : de l’extrémité sud du bois à la partie nord du Talon. Objectif du 3ème bataillon : de ce dernier point à la lisière nord du bois.

Le terrain sur lequel allait s’engager le combat etait difficile, presque complètement dépouillé d’arbres, rempli d’excavations, de tranchées à moitié détruites. Partout des vestiges de défenses accessoires, qui entravaient la marche. Au sud du Bois Sabot et devant nos tranchées de premières lignes, un thalweg de 150 mètres de large offrait un précieux champ de tir pour l’adversaire. Au sud de ces tranchées de première ligne, terrain boisé mais déchiqueté par l’explosion des projectiles et présentant de nombreux boyaux battus très facilement par l’artillerie ennemie.

L’attaque eut lieu exactement à 7 heures, mais les compagnies des 1er et 3ème bataillon ne progressèrent que lentement, car elles étaient, dès leur départ, très vivement prises à partie par un feu intense d’artillerie lourde et de mitrailleuses. Dès 9h45 toute progression etait impossible. Les pertes énormes ; les renforts envoyés par le Colonel (1 Cie à chaque bataillon) ne pouvaient arriver à l’emplacement qui leur avait été assigné. Seule la section du Lieutenant Lota, de la 8ème Cie, parvint à l’intérieur du Bois Sabot. Le Colonel donna l’ordre de s’accrocher au terrain et de l’organiser : chaque bataillon avait gagné 100 mètres ; deux violentes contre-attaques menées avec des effectifs importants par l’ennemi ont été enrayées. Le soldat Emile RANDOU fut tué à l’ennemi lors de cette attaque.

L’ultime phase de la bataille commença le 12 mars. Après une préparation d’artillerie, l’assaut donné par le 17ème CA sur tout son front dans la matinée etait un échec ; il etait renouvelé le même jour dans la soirée, sans plus de résultat. Le peu de gain obtenu amenait Grossetti à proposer à De Langle de Cary de commencer par enlever la côte 196, au nord de Mesnil les Hurlus.


L’attaque des 16ème et 17ème CA donna des gains limités et un dernier effort le 18 mars permit d’enlever le « bois jaune brûlé » sur les pentes sud de la hauteur 196 dans lequel les Allemands avaient savamment multiplié les fortifications. Le 13 mars, le 122ème RI recevait l’ordre d’attaquer sur l’axe « Butte du Mesnil, ferme de Beauséjour » les tranchées allemandes du « ravin des Cuisines ». La Butte du Mesnil était très fortement organisée, défendue en particulier par le fortin de la côte 196 à l’ouest et le fortin de Beauséjour à l’est. Il s’agissait de tourner la butte par l’ouest.

Menée par le 2ème bataillon qui attaqua deux fois dans la journée, cette première opération ne fut pas heureuse et coûta de sérieuses pertes : 3 officiers tués, 1 blessé ; 12 hommes tués, 46 blessés. Le 14, deux bataillons (2ème et 3ème) attaquaient les positions de la côte 196. Des mitrailleuses installées dans le Ravin des Cuisines laissaient les compagnies se déployer et les prenaient par de violents feux de flanc. Le chef de bataillon Cristofari, commandant le 3ème bataillon, fut tué d’une balle à la tête. Cependant les deux bataillons progressaient d’une centaine de mètres ; vers 15 heures, par suite des pertes subies, le mouvement en avant était suspendu ; les troupes commençaient à se retrancher sur le terrain occupé ; mais l’ennemi, qui nous harcelait avec son artillerie et ses mitrailleuses rendait la tâche extrêmement pénible. On compta 447 pertes dont 256 tués et 18 disparus

Pendant la journée du 15, sous les tirs de harcèlement continuels, le 3ème bataillon s’efforça de gagner la crête en poussant vers le nord de nombreuses têtes de sapes. L’ennemi faisait un abondant usage de gros minens de 1m10 de haut qui tombaient sur toute la profondeur de notre position. Le soir, on compta 126 hommes hors de combat ; à lui seul, le 3ème bataillon eut 15 tués, 76 blessés et 9 disparus. A noter que les disparus sont la plupart du temps des tués qui n’ont pu être identifiés (enterrés ou déchiquetés)

La lutte se poursuivit le 16 mars. Le 3ème bataillon attaquait à 4 heures le fortin de la côte 196, et le 2ème bataillon, la tranchée N.S. qui barre le Ravin des Cuisines. Le feu des mêmes mitrailleuses faisait échouer l’opération. A 16 heures, nouvelle attaque : la 9ème compagnie progressa et elle aurait sans doute atteint son objectif, si son avance avait été appuyée par celle des tirailleurs marocains qui opéraient à sa gauche. De son côté, la 5ème compagnie pu faire un bond de 50 mètres. Les pertes pour cette journée furent de 20 tués, 31 blessés

Le 17 mars au matin, une section de la 5ème compagnie sous les ordres du sous-lieutenant Ancelet, attaquait en liaison avec une compagnie du 53ème régiment d’infanterie le saillant sud du Ravin des Cuisines. Elle arriva sur la tranchée, mais n’étant pas soutenue à droite, elle fut obligée de se replier sous une grêle de balles. A 16 heures, nouvelle attaque sur le fortin par les 1er et 3ème bataillons et sur la tranchée N.S. par le 2ème bataillon qui devait marcher en liaison avec le 53ème régiment d’infanterie.Les compagnies sortaient de leurs tranchées à l’heure fixée, baïonnette au canon ; mais les mitrailleuses rendent tout progrès impossible ; le fortin ne put être pris et le feu violent de ses occupants nous fit beaucoup de mal. La 9ème compagnie n’avait plus d’officiers ; un sergent commandait la 10ème. Devant la tranchée N.S., le 53ème régiment d’infanterie etait resté dans ses tranchées ; les compagnies du 2ème bataillon ne purent déboucher. Cependant, à 17 heures, les 6ème et 7ème compagnies se portaient seules en avant, et progressaient d’une centaine de mètres dans les conditions les plus pénibles. La 8ème compagnie les rejoint à la faveur de l’obscurité. On employa toute la nuit à organiser le terrain. Les pertes de la journée étaient de 117 hommes dont 70 disparus (5 officiers tués, 2 blessés)

Le 18 mars, les pertes s’élevaient à 80 hommes dont 28 tués (1 officier). Joffre mettait fin à l’offensive en Champagne. Les Allemands contre-attaquaient le lendemain et furent repoussés avec de fortes pertes des deux côtés

Le 19, le 122ème RI était attaqué à son tour. L’action fut particulièrement vive devant le 3ème bataillon ; mais nous maintenions toutes nos positions en infligeant à l’ennemi de lourdes pertes. On compta plus de 50 morts devant le 3ème bataillon ; de notre côté, nous avons en fin de journée 47 pertes dont 12 tués

Le 21, à 3h30, la 5ème compagnie avança sa ligne de 100 mètres vers la tranchée N.S. du Ravin des Cuisines

Un nouvel assaut était mené par les Allemands dans la nuit du 22 au 23 mars. Les jours suivants, jusqu’au 24, le régiment défendit ses positions contre les retours offensifs de l’ennemi.

Le 24, à la côte 196, devant le 1er bataillon, les compagnies furent durement éprouvées par un terrible bombardement d’obus de 105 fusants et de gros minens (mort du sous-lieutenant Marican, commandant la 1ère compagnie, du sous-lieutenant Théron, commandant la 2ème compagnie, fait chevalier de la Légion d’Honneur et de l’ Adjudant Félix VALATX, de Giroussens).

L'adjudant Félix VALATX quelques temps avant qu'il ne tombe à Beauséjour, en Champagne, en mars 1915.


Lorsque, le 25, le 122ème régiment fut envoyé pour deux jours au repos, il n’y avait que deux officiers avec le chef de bataillon au 1er bataillon et au 3ème bataillon. Ils étaient quatre au 2ème bataillon. Les pertes s’élevaient à 329 tués, 571 blessés.

Le 80ème RI de Narbonne, faisait lui aussi partit du 16ème CA et avait participé activement les 18 et 19 mars aux dernières attaques sur la côte 196. Le 29 mars, ce régiment alla prendre deux jours de repos au camp de la Grand’route, et rentra aussitôt dans le secteur dit de « La Roche », entre Perthes et Souain, le 1er avril. Alors s’ouvrit une période de guerre de mines. Le 16 avril, par exemple, les Allemands exécutaient une terrible attaque à la mine ; le 18, la mine française leur répond. Le régiment subit 21 explosions, dont une ensevelit 35 hommes ; il conquit et organisa 8 entonnoirs pratiqués par le génie qui le secondait. Les pertes en avril-mai étaient considérables et s’élevaient à 4 officiers et 165 hommes tués, 9 officiers et 899 hommes blessés. On peut supposer que c’est lors d’une de ces actions de mines que fut blessé Emile HUGOU du 80ème RI qui décéda le 11 juin 1915, des suites de ses blessures à l’ambulance 7/16 de Somme-Suippes. Chaque corps d’armée possédait des Ambulances et un Hôpital de campagne, directement à l’arrière du front, mais les difficultés étaient grandes pour y arriver à temps pour pouvoir être soigné correctement.

Après avoir combattu en Champagne avec les 16° et 17° CA, le 12°CA de Limoges etait envoyé en Woëvre dès la fin mars 1915. Début avril, une « attaque brusquée » était lancée à l’ouest de Pont-à-Mousson. Le 12ème corps prenait Fey-en-Haye sans combat puis enlevait le village de Regnièville. Mais par la suite, les attaques se révélaient inefficaces sur un terrain rendu marécageux par les pluies persistantes. La surprise n’ayant pas joué, Joffre ordonnait de poursuivre une guerre d’usure qui jusqu’à la fin avril va coûter 65000 hommes. Auguste PELFORT, du 326ème RI de Brive, participa probablement à ces combats. Son unité fut mise ensuite au repos sur un secteur plus calme dans l’Oise avant de rejoindre l’Artois en septembre 1915. Mais il décéda entre temps, le 22 septembre 1915 à Epineuse (dans l’Oise) des suites de maladie.

Auguste PELFORT , à la mobilisation,
au 126ème RI de Brive.


A cette époque, le 16°CA de Montpellier etait toujours en Champagne ou il avait organisé méthodiquement son secteur et subit de nombreux et coûteux bombardements, attaques et actions de mines. Dans le cadre de la 2° Armée, il etait en deuxième échelon en vue d’exploiter une hypothétique percée. La 32ème DI derrière le 1er Corps Colonial devait attaquer la « Main de Massige » et le « Mont Têtu » ; la 31ème DI devait renforcer le 14ème CA sur Tahure.


Dans les premiers jours de septembre, le 81ème RI etait transporté par autos à Bussy-le-Repos, village bien nommé, où il resta jusqu’au 21, date à laquelle il partit pour Noirlien en réserve des gros effectifs qui allaient lancer l’attaque du 25 septembre. Aussi, lorsque le 14° CA se trouva en bute à des arrières lignes formidables, couvertes de profonds réseaux barbelés, le 81ème était engagé dans la nuit du 26 au 27. Sa marche en avant etait difficile. Appuyant tout d’abord les unités d’une division directement engagée, sa progression etait prise sous de puissants barrages d’artillerie lourde et abordait bientôt la zone des mitrailleuses. Beaucoup d’hommes tombèrent. L’avance continua. Les unités parvenaient dans leur élan jusqu’aux réseaux adverses. Certains groupes y pénétrèrent ; ils s’étaient portés si avant qu’ils restèrent deux jours sans communication avec leurs camarades, (la 1ère section de la 1ère compagnie sera citée pour ce fait, à l’ordre de la Division n° 127 du 16 octobre 1915)

La nuit du 28 etait employée à des reconnaissances et à relier les unités entres-elles. Certaines tentèrent isolément des actions aussitôt abattues par la puissance de feu allemande. C’est lors d’un de ces combats que le Caporal Cécilien SAYSSAC était tué à l’ennemi, devant Tahure, ce 28 septembre 1915.

 

Le Soldat Cécilien SAYSSAC, vers 1910, à l’époque de son service militaire au 122ème RI de Rodez.

Il fut mobilisé en août 1914, comme caporal au 81ème RI de Montpellier.


L’abbé Louis Birot, aumônier de la 31ème Division relate dans ses carnets son arrivé à Perthes le 27 septembre avec le Groupe de Brancardier Divisionnaire pour relever les blessés des régiments engagés dans la direction de Tahure : « Il pleut à seaux. Néanmoins une colonne se forme composée de tous les infirmiers et de tous les médecins auxiliaires… je me joins à elle… effets du bombardement des lignes, tout est broyé sous la pluie de fer : tranchées, abris, chevaux de frise, cadavres, équipements, sacs de terre, matériel de toute sorte, tout est mêlé, nivelé… je me porte en avant… je longe des sentiers et des bois semés de cadavres. Débris de combat. Après une marche assez longue, j’arrive au 322ème (régiment en ligne à côté du 81ème), massé derrière une crête abrupte… les figures sont anxieuses, les corps tendus… soudain l’artillerie se déchaîne. Toutes les crêtes s’enflamment. Un bruit étourdissant, continu, remplit l’horizon de vague de tonnerre. C’est l’attaque… les trois bataillons du régiment s’égrènent aussitôt en petits paquets, et par sections, traversent le pré, en courant, et vont se coller au talus en face de nous… je suis des yeux le mouvement. Les balles commencent à siffler…puis la riposte se produit avec une violence inouïe. En quelques instants les crêtes et les vallons sont inondés de marmites et de shrapnells. Une fumée épaisse remplit l’air ; les blessés affluent. Ils diront que la poussée de notre infanterie s’est heurtée à une ligne de chevaux de frise posée cette nuit, et non détruite par notre tir. Le vent d’un obus me renverse. Il devient dès lors évident que l’attaque sera meurtrière et non décisive ».

Et pourtant, le lendemain, le 81ème régiment recevait à nouveau l’ordre de franchir les réseaux que l’on supposait détruits par l’artillerie, et d’occuper la redoutable tranchée de la Vistule. A 14 heures, malgré l’engagement de tous les bataillons, il ne pouvait prendre la tranchée. Pourtant, certains groupes de combat avaient réussi à s’engager dans les fils de fer, à les traverser malgré barrages, mitrailleuses ou gaz et à bondir dans les ouvrages ennemis avancés. Jusqu’au soir ils s’y maintenaient mais, trop peu nombreux, décimés par le tir adverse, ils durent à la nuit rejoindre nos lignes en emportant leurs camarades blessés. Après 3 jours de combat, les troupes étaient épuisées, mais Castelnau voulait à tout prix enlever la deuxième ligne allemande pourtant renforcée par 3 nouvelles divisions. Pétain en informa Castelnau dès le 28 septembre au matin ; mais des rumeurs de percées allaient cautionner de nouvelles attaques jusqu’au 30 septembre. Certains régiments comme le 81ème firent des progressions locales de quelques centaines de mètres, s’acharnèrent à tenir et revinrent sur leur base de départ sous un déluge d’obus à gaz et de projectiles lourds. Le 1er octobre, l’offensive s’arrêtait d’elle-même. Il n’y avait pas eu de percée ; la deuxième ligne allemande avait tenu bon. Mais Castelnau prévoyait un nouvel effort après une solide préparation d’artillerie pour le 5 octobre. Le 16ème Corps participa à cette nouvelle attaque et prit même la Butte de Tahure le 6 octobre mais elle sera reprise peu après par les Allemands qui furent considérablement renforcé sur ce front. Les hommes et les approvisionnements en munitions étant épuisés, l’offensive de Champagne pris fin. Le 16ème CA y resta cependant jusqu’à la Noël 1915 avant de partir un temps pour l’arrière.

 

Quelques poilus du 81ème RI avant les attaques de septembre 1915. Combien sont revenus ?

Pour quelques kilomètres carrés gagnés, l’Armée française laissait sur le terrain 30 000 morts et 170 000 blessés. Joffre proclama le 3 octobre : « 25 000 prisonniers dont 350 officiers, 150 canons et un matériel si considérable qu’on avait pu encore le dénombrer. Aucun des sacrifices consentis n’a été vain, le présent nous est un sûr garant de l’avenir. Le commandant en chef est fier de commander aux troupes les plus belles que la France ait jamais connues. 

Dès la préparation de l’attaque du 6 octobre en Champagne l’Etat-major avait eu connaissance d’évènements extérieurs préoccupants. La Serbie était au bord du désastre sous la poussés des armées allemandes, austro-hongroises et bulgares. C’est donc sans tarder que des troupes étaient envoyées à Salonique au profit de ce qui allait devenir l’Armée d’Orient. La 122° DI était donc désigné pour rejoindre en Grèce, la 156°DI formée quelques jours avant sur prélèvement du Corps Expéditionnaire des Dardanelles. Jules RAYNAUD, de la classe 1914 avait été affecté à l’un des régiments de cette 122°DI, le 45ème RI qui fut envoyé au secours de l’Armée serbe fin 1915

Du 4 au11 octobre 1915, la 122°DI fut retirée du front et mise au repos vers Épernay. Du 11 au 14 octobre, elle etait transportée par V.F. à Toulouse ou ses unités allaient se concentrer et s’organiser, en vue de son départ pour l’Orient. Du 25 octobre au 3 décembre 1915, elle était transportée par V.F., de Toulouse, à Cette et à Toulon, puis, par mer, à Salonique. Au fur et à mesure de leur débarquement (du 1er au 12 novembre), les éléments de la 122e D.I. étaient envoyés vers le front de la Tchérna inférieure : Le 11 novembre, elle combattait dans la région de Tchitchévo. A partir du 12 novembre, des combats défensifs avaient lieu, puis, le 21, elle se repliait sur la rive droite de la Tchérna. (A partir du 30 novembre, une brigade etait portée sur Gradéts en vue de l’organisation d’une position d’arrêt)

Du 3 au 17 décembre 1915 elle fut engagée dans la retraite vers Salonique. Les 3 et 4, elle se replia jusqu’à la position d’arrêt de Gradéts ; c’est lors de ces combats que Jules RAYNAUD fut tué à l’ennemi, à Kavadarci (en Serbie). Les jours suivants, son unité combattait encore contre les Bulgares, les 6 et 7, sur Pétrovo, le 7, sur Davidovo, le 8, sur Kovanéts, l e 9, à hauteur de la Boyimia, le 10, vers Gourintchét, le 11, elle se repliait entre Davidovo et Guiévguiéli et le 12, elle passait la frontière grecque, sur les deux rives du Vardar, puis retraitait, à partir de Karasouli, , par la rive gauche, sur Dogandji, où la 122°D.I. arrivait le 17. Elle allait alors s’organiser avec les autres unités de l’Armée d’Orient dans ce qui allait devenir le camp retranché de Salonique. Il faudrait attendre 1918 avant que cette Armée ait les moyens d’attaquer à nouveau

 

L’année 1916 allait voir les deux grandes batailles de Verdun et de la Somme. C’est au même endroit, à Cappy (dans la Somme) qu’allaient tomber les 2 premiers morts de Giroussens pour l’année 1916 ; à quelques jours d’intervalle et au sein du même régiment.


Depuis décembre 1914, le Corps d’Armée Colonial combattait en Champagne au cotés des 16ème (Montpellier) et 17ème (Toulouse) Corps. Le 24ème Régiment d’Infanterie Coloniale avait participé aux attaques de février-mars et à la grande offensive du 25 septembre. Depuis cette date, constamment en première ligne, il avait perdu 1 600 hommes lorsqu’il fut relevé le 9 novembre 1915. Le régiment alla cantonner au « vallon des Pins » puis partit le 11 au repos à Sivry-sur-Ance, puis le 2 décembre dans la région d’Acy-en-Multien où il séjourna jusqu’au 4 janvier 1916. A cette date, le 24ème RIC gagnait le camp de Crèvecoeur par voie de terre (à pieds) où au sein du 1er CAC, il exécuta des manœuvres jusqu’au 26 janvier.

Les Allemands lors d’une attaque très puissante ayant enfoncés nos premières lignes entre Frise et Dompierre, le 24ème RIC après une marche de 35 km, fut enlevé en automobiles le 29 au soir et transporté dans la nuit à Chuines. Le 30, dès 11h, le 2ème bataillon devait relever, dans les tranchées au nord de Dompierre, des unités du 322ème RAT ; il se portait sur les emplacements indiqués, sous un bombardement intense laissant présager une nouvelle attaque qui se produisit au cours de la relève. Les territoriaux refluèrent en désordre, laissant le 2ème bataillon désorienté dans un secteur inconnu, aux prises avec l’assaillant. Après une vive résistance jusqu’à épuisement des munitions, les 5° et 6° compagnies réussirent aux prix de pertes sérieuses à arrêter la progression ennemie. Dans la nuit du 30 au 31, le 1er bataillon recevait la mission de reprendre aux allemands une partie des tranchées perdues par le 322ème RAT au nord de Dompierre. Dans une lutte à la grenade, le bataillon enleva en quelques heures l’objectif fixé, obtenant ainsi une citation à l’ordre du corps d’armée. Cette citation laisse transparaître les conditions du décès d’Alexandre BOUSQUET, tué à l’ennemi, le 5 février 1916, à Cappy : « En février 1916, sous le commandement du chef de bataillon Noël, le 1er bataillon du 24ème RIC a, pendant 10 jours consécutifs, livré de très nombreux combats à la grenade. Attaquant impétueusement, s’organisant aussitôt sur le terrain conquis, résistant avec opiniâtreté à toutes les contre-attaques, a de la sorte progressé méthodiquement et arraché à l’ennemi plus de 2 km de tranchées ou de boyaux, fait des prisonniers et a enlevé une mitrailleuse. »

Jusqu’au 12 février, le combat continua, acharné, dans la région de Frise en vue de la reprise du terrain perdu ; les 1er et 2ème bataillon du 24ème RIC y prenaient une part active que le Général commandant la 6ème Brigade d’infanterie coloniale exprima ainsi : « Dans les journées du 29 janvier au 11 février, les unités de la 6ème Brigade, chargées de reprendre aux allemands une partie de nos lignes, se sont montrées à la hauteur de la réputation qu’elles ont acquise en Champagne. Elles ont reconquis les points les plus importants de la ligne à reprendre à la baïonnette, sous les bombes et sous le feu le plus intense de l’artillerie ennemie. Elles ont trois jours durant, malgré les pertes les plus cruelles, disputé ces points à de nombreuses contre-attaques ennemies, faisant des prisonniers et prenant des mitrailleuses. Je salue les nobles victimes de ces jours de lutte. »

Un « marsouin » (nom familier donné au soldat de l’infanterie coloniale) de Giroussens ;
celui là est revenu !

Les 1er et 2ème bataillon étaient successivement relevés après le 12 février et allaient au repos. Le 3ème bataillon occupait toujours, depuis le 30 janvier, les tranchées en face de Dompierre. A partir du 14, le temps devint mauvais ; la pluie tomba sans répit transformant les tranchées et boyaux en mares boueuses où les hommes s’enfonçaient jusqu’à la ceinture, détruisant dans la journée, les travaux de la nuit. Dans ces conditions, la vie de secteur devint extrêmement pénible, les hommes n’étant pas relevés, ne pouvaient se débarrasser de la boue qui les couvraient et beaucoup furent atteints de gelures aux pieds. Pour autant, les combats ne cessèrent pas, et le 16 février, Ernest Ludovic VALATX tombait à son tour, près de Cappy dans la Somme. Lorsque son bataillon fut relevé, le 25 février, les pertes pour ce seul mois s’élevaient à près de 500 hommes.

Pendant ce temps le 8ème RIC, de la 4ème Brigade coloniale était en secteur à Vermandovillers jusqu'au 16. Il passait ensuite quatre jours au repos à Demuin et revenait, du 24 février au 2 mars, tenir le secteur de Frise, en avant de Cappy, là même où la 6e B.I.C. avait été précipitamment engagée, pour enrayer l'avance ennemie. La relève, qui dura deux jours et deux nuits, exigea de tous un gros effort, une abnégation absolue et un sentiment très élevé du devoir. La nouvelle ligne occupée etait en effet à peine ébauchée et le temps très mauvais : La pluie, la neige, le gel et le dégel qui se succédaient, faisaient crouler les talus des tranchées et des boyaux. C'etait de la boue liquide que l'on maniait avec les pelles ; en certains endroits, il fallait circuler dans plus de 50 centimètres d'eau vaseuse. Des hommes, enfoncés dans le sol jusqu'à mi-corps, durent attendre pendant de longues heures la venue de la nuit, afin de pouvoir être tirés, avec des toiles de tentes de leur dangereuse situation. L'artillerie ennemie de son côté très active, occasionnait à nos troupes abritées dans ces mauvaises tranchées, des pertes quotidiennes sévères. C’est dans ces conditions qu’Ernest DEYMIER, du 8ème RIC, fut tué à l’ennemi au « bois de la vache », au nord de Cappy.


Le Régiment quitta le secteur de Cappy dans la nuit du 2 au 3 mars et alla cantonner successivement, le 3, à Méricourt, au nord-est d'Amiens ; le 4 à Rouviel, et le 5, à Rouvroy, où il séjourna jusqu'au 20 mars. Au sein de la 2°DIC, 3 jeunes gens de Giroussens étaient tombés en 3 semaines presque au même endroit.

Depuis le 21 février 1916, Verdun etait assailli par les Allemands ; à grands renforts envoyés de partout, le front français s’etait stabilisé un peu. Mais les Allemands afin d’éviter ce renforcement, lançaient des attaques afin de fixer le maximum de troupe loin de Verdun. La 127°DI, créé en juin 1915 à partir de 2 régiments d’infanterie et 4 Bataillons de Chasseurs à Pieds avait été engagée à partir du 25 septembre 1915, dans la deuxième bataille de Champagne, au sein du 6°CA, derrière le 2ème CAC. Elle avait participé aux combats dans la région de la « butte de Souain » et de la « ferme Navarin » puis avait occupé le terrain conquis, à l’est de la route de Souain à Somme-Py.

Soldats français s’abritant dans un trou d’obus
devant la ferme Navarin, en 1916


Retiré du front du 4 au 27 octobre, elle remontait en secteur vers la « butte de Souain », la « ferme Navarin » et le nord de la « ferme des Wacques ». C’est justement sur ce secteur qu’une attaque allemande de diversion (pour éviter le renforcement du front de Verdun) eut lieu le 27 février 1916. C’est lors de cette attaque que fut tué Jacques Augustin MARTEL, du 19ème Bataillon de Chasseurs


Alors que se déroulait la Bataille de Verdun, d’autres combats avaient lieux sur tout le front, et les unités de réserves de la 16ème Région Militaire combattaient depuis plus d’un an dans les Vosges au sein de la 41°DI. En août 1914, la 66ème Division de réserve était partie du Midi entre le 12 et le 15 août, elle avait débarqué à Montbéliard et avait été dirigée sur Belfort pour se regrouper entre le 15 et le 17 août. La Division avait renforcé le 7°CA en marche sur Mulhouse. La 131° Brigade en tête, avait suivi l’axe Froningen, Didenheim, Brünstadt. La 132° Brigade, l’axe Valdieu, Traubach, Falkenwiller, Balschwiller, Froeningen, Didenheim.

 

Le 19 août, le contact était pris avec l’ennemi ; deux pelotons de réserve du 19ème Régiment de Dragons de Castres chargeaient sur le bois de Gallen-Holtzolle. Le 296ème RI de Béziers subissait une sévère canonnade causant des pertes tandis que le 215ème RI d’Albi sortant de Didenheim et s’apprêtant à franchir le pont sur l’Ill, était stoppé par une vive fusillade. Entassées entre la sortie du village et la rivière, deux sections tentaient alors de forcer le passage sur le pont mais étaient clouées au sol dès leur arrivée sur l’autre rive par un feu terrible de mitrailleuses. Le repli précipité des survivants créait un début de panique sur les bataillons du 215ème et du 343ème RI de Castelnaudary qui s’étaient échelonné sur la rive. Le régiment avait perdu près de 200 hommes. Le drapeau déployé, la charge était sonnée et le 215ème reprenait ses positions qu’il ne quittait que le 24 août sur l’ordre général de retraite. La 66ème Division se repliait par Petit-Croix, Montbéliard, Monvillard, Rechesy et Courtelevant. Pendant près d’un mois son rôle allait se résumer à tenir à l’aile droite de l’Armée d’Alsace, un front délaissé par la bataille, hormis quelques patrouilles offensives. Le 1er octobre, la 132ème Brigade quittait la 66ème Division pour faire partie des unités qui allaient renforcer cette X° Armée en Artois et allait passer à la 58ème Division. En Alsace, où les autres régiments de la 66ème Division de Réserve allaient être affectés à la 41ème Division (Le 17 décembre 1914, la 81ème brigade passe à la 66ème DI et est remplacée par la 132ème brigade), la tactique allait résider dans la prise des sommets et des cols pour s’assurer des vallées. C’est le 2 décembre 1914 que commençait cette lutte qui atteindrait son apogée durant l’année 1915. Deux bataillons de chasseurs alpins soutenus par le 215ème RI s’emparaient de la Tête des Faux, à 1219 mètres d’altitude. Le régiment de réserve d’Albi y laissait une centaine d’hommes ; les « jägers » allemands restaient toutefois cramponnés à mi-pente et devaient contre-attaquer sans succès dans la nuit de Noël. Sur ce front, les boyaux alternaient avec des murs de pierres recouverts de troncs de sapins. La neige, le froid allaient être pour les « combattants des cimes » des ennemis tout aussi meurtriers que l’adversaire ; et il faudrait apprendre à compter avec des conditions géographiques et climatiques pour lesquelles on n’avait pas été préparé. La 41ème division occupait un secteur entre la Chapelotte et la Fave (région de Provenchères-sur-Fave), étendu à droite, à partir du 19 décembre 1914, jusqu’au col du Bonhomme. En février et en mars 1915, elle livrait des combats vers la Chapelotte. Le 22 juin, elle perdait la Côte 637, reprise le 8 juillet. Le 24 juillet, le 253ème régiment de Perpignan venait en aide à la 82ème Brigade pour la prise de Launois, lors des combats de la Fontenelle. Par la suite et durant toute l’année 1915, la 132ème Brigade du Général Sarrade, formé des régiments de réserve d’Albi, Castelnaudary et Perpignan allait former l’aile droite de la 41ème DI, s’étendant du col du Bonhomme au col d’Hermanpère. Sur ce secteur, il y avait deux points important, le « Violu », observatoire admirable et « 607 », bastion formidable que les Allemands allaient chercher à occuper continuellement. Des attaques sur ce secteur furent repoussées par le 253ème RI en février puis en avril 1915. Puis, devant les difficultés de combat en terrain montagneux, des bombardements et des tirs de mines eurent lieu jusqu’à la fin de l’année 1915

Une « popote » du 215ème RI d’Albi, dans les Vosges
entre 1914 et 1915.


Ce n’est qu’à partir du 12 février 1916, que des tentatives plus sérieuses étaient lancées. Après un fort bombardement du réduit sur la « côte 607 », une attaque se déclenchait sur les positions du 253ème RI et du 120ème BCA qui repoussèrent les Allemands. Les jours suivants, les Allemands se déchaînèrent sur nos positions de « 607 », du « Violu », la « Cude » et « Fort-Regnault ». Plusieurs milliers d’obus de gros calibre et de torpilles bouleversèrent les positions de la 132ème brigade (boyaux éboulés, abris éventrés, projections en tout sens). La terre s’entrouvrait avec fracas, engloutissant tranchées, défenses accessoires et aussi leurs défenseurs, ouvrant ainsi un énorme entonnoir dont il fallait coûte que coûte défendre avec acharnement. C’est ainsi qu’Augustin CASSAGNOL, du 343ème RI fut tué à l’ennemi le 1er mars 1916, à la « Tête du Violu ». Quelques jours après, ayant été blessé lors de ces mêmes combats, Henri ASSALIT, du 215ème RI décéda des suites de ses blessures le 11 avril 1916 à l’Hospice Mixte de Saint-Dié. Une des dernières tentatives allemandes sur ce secteur eut lieu le 17 avril. Sur tout le front de la 41° DI, elle se traduisit par des fusillades, des jets de bombes, des bombardements des tranchées et des cantonnements. Devant et autour de « 607 », les ripostes du 215ème RI empêchèrent les attaques de l’infanterie allemande de déboucher ; plus au sud, au bois de Beulay, les Allemands approchèrent jusqu’au fils de fer mais la fusillade les obligea à se replier. Durant ces combats, Marius DARLES, du 215ème RI fut tué à l’ennemi, à la côte « 607 », à l’est de Lesseux. Ces combats allaient se poursuivre pour la 41°DI jusqu’à la fin de juin 1916, date à laquelle elle allait être relevée et changée de secteur.


A cette date, en vue de dégager le front de Verdun, contre lequel ne cessait de déferler le flot ennemi depuis le 21 février, et de venir en aide à ses héroïques défenseurs, une attaque sur le secteur de la Somme était décidée. L'offensive principale allait être conduite par les Armées Britanniques, appuyées à leur droite et, à cheval sur la Somme, par la VIe Armée (Général FAYOLLE), comprenant du nord au sud, le 20e C.A., le 1er C.A.C. et le 35e C.A.

L'ordre d'attaque précisait que : « l'action du 1er C.A.C. visera à prendre pied sur le plateau de Flaucourt, en vue d'empêcher l'artillerie ennemie de cette région d'agir au nord de la Somme. Elle ne devra pas dépasser l'objectif limité qui lui est assigné. » Dans les derniers jours d'avril, la situation devenait très pressante devant Verdun, les travaux à effectuer en vue de l’attaque étaient alors poussés le plus activement possible, afin d'être terminés vers le 20 juin.

Pendant toute cette période, du 20 mars au 20 juin, le 8ème Régiment d’Infanterie Coloniale bivouaqua ou cantonna dans la région de Demuin, Morcourt, Proyart, et participa à tous ces travaux : ouverture de nombreux boyaux, aménagement d'emplacements, de batteries, construction de nombreux abris à l'épreuve, destinés à abriter les troupes d'assaut pendant la préparation d'artillerie. Ces périodes de travaux alternaient avec des séjours aux tranchées du Bois de la Vierge (S.-E. de Cappy), dans un secteur relativement calme. En outre, des centres d'instruction ayant été organisés à Demuin, toutes les unités y étaient envoyées à tour de rôle au repos pendant une quinzaine de jours, pour y reprendre l'instruction des spécialités : grenadiers, voltigeurs, V.B., F.M. C'est à cette date, que les unités d'infanterie furent dotées du F.M. à raison de 8 par compagnie.


Les travaux préparatoires furent terminés le 20 juin et la préparation d'artillerie, minutieusement réglée et d'une violence sans précédent, commençait le 24, elle dura 7 jours. Pendant ces 7 jours de bombardement notre artillerie fit sur la première position allemande, un travail de destruction réellement remarquable et des tirs de contrebatteries des plus efficaces. L'état des destructions etait reconnu tous les soirs par des officiers d'artillerie et d'infanterie, qui réussirent même, à pénétrer, en plein jour, dans les premières tranchées ennemies. Le 30 juin elles furent jugées suffisantes, et l'attaque d'infanterie fut définitivement fixée au lendemain, 1er juillet, à 9h30

Le Régiment, encadré à droite par le 3e R.I.C., à gauche par le 4e R.I.C., occupait ses emplacements de départ dans la nuit du 24 au 25 juin. Son secteur d'attaque, d'environ 500 mètres etait limité au nord par le boyau central et les lisières sud d'Herbécourt, au sud par une ligne passant par la lisière nord de Dompierre et les lisières sud de Flaucourt. La première position allemande, protégée par de multiples réseaux de fils de fer, garnie de nombreux abris à l'épreuve et flanquée par plusieurs mitrailleuses, etait fortement organisée. Elle etait constituée par trois lignes successives : La première à 400 mètres environ de nos postes avancés ; la deuxième (tranchée des Canards), à 1000 mètres environ au-delà, la troisième (tranchée de départ), à 1200 mètres plus loin. Ces trois lignes étaient réunies entre elles par un seul boyau, appelé boyau central, qui limitait au nord le secteur d'attaque du Régiment et qui aboutissait au village de Flaucourt, à 1500 mètres à l'est de la troisième ligne. L'attaque du régiment, suivant les ordres du Haut Commandement, devait se développer par l'enlèvement successif et méthodique de trois objectifs :
Premier objectif : premières lignes et tranchée des Canards ;
Deuxième objectif : tranchée d'arrivée ;
Troisième objectif : village de Flaucourt et plateau à l'est. Ce dernier objectif ne devait être en aucun cas dépassé.

Le dispositif d'attaque était le suivant : Le Régiment en profondeur dans l'ordre 2e Bataillon, (commandant CHEVALIER) ; 3e Bataillon (commandant MAILLES) ; 1er Bataillon (commandant FOUFE). Formant dans chaque bataillon deux vagues de deux compagnies chacune. La première vague, comprenant, à droite, la 6e Compagnie (capitaine SADDIER), à gauche la 5e Compagnie (capitaine GROUSSARD), occupait la tranchée de première ligne; La deuxième vague, comprenant à droite la 8e Compagnie (lieutenant SAULGEOT), à gauche, la 7e Compagnie (lieutenant PAOLI), occupait les abris de la tranchée de doublement à 40 mètres en arrière; Les troisième et quatrième vagues (3e Bataillon), étaient à la disposition du Colonel Commandant le Régiment, et se formaient dans les abris de la tranchée de soutien; Les cinquième et sixième vagues (1er Bataillon) étaient à la disposition du Général de Brigade (cinquième vague), et du Général de Division (sixième vague), dans le bois Olympe, à 2 kilomètres plus à l'ouest. Chaque compagnie entrant dans la composition des deux premières vagues, avait deux sections déployées en première ligne et deux sections en ligne d'escouades à trente pas en arrière. Les derniers préparatifs étaient terminés, le 30 juin au soir, le Régiment etait prêt à remplir sa mission.

Le 1er juillet, le temps se leva superbe ; la visibilité etait parfaite. Un peu avant 9 heures, les troupes furent avisées de l'avance réalisée par le 20ème C.A. et par l'Armée Anglaise, partie à l'assaut vers 5 heures. A 9 h. 30, l'artillerie ayant allongé son tir, les 5e et 6e Compagnies, suivies à très courte distance par les 7e et 8e Compagnies, bondissaient en dehors des tranchées et abordaient les lignes ennemies. La progression était très rapide. Les vagues d'assaut pénétraient dans les premières lignes où elles faisaient une cinquantaine de prisonniers, puis se portaient rapidement sur la tranchée des Canards qui etait enlevée dès 10 h.

L'objectif assigné, qui ne devait être dépasser que sur ordre étant atteint, les 5e et 6e Compagnies s'y organisaient solidement et envoyaient des patrouilles reconnaître le terrain en avant pendant que les 7e et 8e Compagnies assurant la liaison avec les Régiments voisins, venaient occuper les premières lignes conquises. Pendant ce temps, le 1er Bataillon était venu occuper les emplacements du 3e Bataillon, qui s'etait avancé lui-même jusqu'à nos anciennes premières lignes, prêt à soutenir le 2e Bataillon. Le Régiment se trouva ainsi à la tombée de la nuit à 800 mètres environ de son objectif : la tranchée d'Arrivée. Les pertes avaient été presque nulles et une centaine de prisonniers étaient pris.

La nuit, très calme, fut mise à profit pour l’organisation de la nouvelle parallèle de départ. Cette ligne de trous individuels, creusée à 250 mètres environ du deuxième objectif, fut occupée avant le jour, par les 7e et 8e Compagnie qui devaient poursuivre l'attaque le lendemain.

Ce deuxième objectif, constitué par deux tranchées à trente mètres l'une de l'autre, était protégé par des réseaux de fil de fer encore intacts et flanqué par des mitrailleuses ; il était fortement occupé par l'ennemi. Malgré la chaleur torride et la privation d'eau, à 16 h. 30, après une pénible journée passée dans l'immobilité la plus complète et dans l'attente fiévreuse de l'attaque, les premiers pelotons des 7e, 8e et 9e Compagnies, s'élançaient vers l'objectif assigné. Mais prises à partie dès leur sortie de la parallèle de départ par le tir des mitrailleuses qui leur infligeaient des pertes sévères, les troupes ne purent progresser : la 8e Compagnie, eut ses trois officiers tués, la 7e Compagnie en eut un. A gauche, le 4e R.I.C. avait cependant enlevé le village d'Herbécourt, capturant ainsi les deux mitrailleuses flanquant l'objectif du 8e R.I.C. A 17 heures 30, l'attaque à la grenade par le boyau central etait alors reprise par la 7e Compagnie. Cette lutte âpre et meurtrière, dura jusqu'à 19 h. Devant la vigueur et l'opiniâtreté de cette poussée, l'ennemi fléchit et vers 19 h. 30, la 7e Compagnie pénétrait dans sa position et enlevait toute la ligne comprise entre le boyau central et le village d'Herbécourt, assurant ainsi la liaison avec le 4e R.I.C. : 2 officiers, 130 hommes et un butin considérable tombaient entre les mains du régiment.


Louis BLATGER fut tué au cours de ces combats et fut inhumé à Dompierre, près d’herbécourt. Les Allemands tenant toujours la partie sud de l'objectif du Régiment ; disposant d'excellents abris, ils opposaient là une résistance opiniâtre à tout efforts. Les 9e et 11e Compagnies, envoyées en renfort dès la tombée de la nuit, entreprenaient alors une lutte à la grenade qui après avoir duré toute la nuit fut couronnée de succès. A la pointe du jour les Allemands se repliaient en désordre, abandonnant une trentaine de prisonniers et trois mitrailleuses. Tous les objectifs étaient tenus, et la position conquise fut immédiatement organisée par le 2e Bataillon, qui envoya dans la matinée du 3 juillet, de nombreuses patrouilles, jusqu'aux lisières ouest de Flaucourt. C'est une de ces patrouilles, commandée par le Capitaine LANET, de la 7e Compagnie, qui s'empara, à la pointe du jour, d'une batterie de 105, située dans le ravin Ouest de Flaucourt, à 600 mètres environ des nouvelles positions, ainsi que d'un important dépôt de munitions.

Dompierre, le 5 juillet 1916, une tranchée allemande prise et des prisonniers escortés


Après avoir enlevé le village de Flaucourt les 3 et 4 juillet, le 8ème RIC partit au repos jusqu’au 24 juillet avant de combattre à nouveau sur ce même front (secteur de la Maisonnette, Cappy, Bois Blaize) jusqu’au 22 août, et d’être retiré du front et rassemblé à Toulon afin d’être expédié à l’Armée d’Orient.

Alors que les coloniaux étaient engagés aux côtés des anglais sur le front de la Somme, les corps métropolitains se relayaient dans la bataille de Verdun. Engagée, à partir du 5 mars, la 28°DI montait en secteur, vers Châtillon-sous-les-Côtes et Villers-sous-Bonchamp. Du 15 au 19 avril, elle était retirée du front et mise au repos vers Chaumont-sur-Aire avant d’être engagée à nouveau du 19 avril au 17 mai, vers Thiaumont et les carrières d'Haudromont. Les 29 avril et 7 mai, ses unités dont le 30ème RI repoussaient des attaques allemandes. Du 17 mai au 5 juin elle allait au repos vers Bar-le-Duc. Puis, du 5 juin au 29 décembre, elle faisait mouvement vers le front et occupait un secteur entre Châtillon-sous-les-Côtes et le sud de Damloup ou des éléments étaient engagés dans la 1ère bataille offensive de Verdun. Le 24 octobre, elle participait à la prise de la batterie de Damloup avant d’être retirée du front entre le 29 décembre 1916 et le 15 janvier 1917 pour être mise à l’instruction au camp de Gondrecourt.

Du 15 janvier au 2 avril la 28°DI était transportée par V.F. vers Liancourt, puis à partir du 22 janvier, elle occupait un secteur dans la région d'Armancourt, l'Avre. Suite au repli stratégique allemand, elle avançait le 17 mars, en liaison avec l'armée britannique et le 19 mars, s’emparait de Ham ; combattait le 22 à Artemps, le 24 à Essigny-le-Grand et à Contescourt. A partir du 21 mars, ses unités occupaient un secteur sur le front Roupy, Essigny-le-Grand. Lors de ces combats de poursuite, le Chef de Bataillon Fernand GARDELLE commandant le 3ème bataillon du 30ème RI fut blessé et transporté à l’Hôpital d’évacuation de Hargicourt, canton de Montdidier, ou il décéda le 17 avril 1917. Il était le premier mort de la commune pour l’année 1917.


Quelque mois après, ce fut le soldat Augustin Hippolyte JANSOU qui décéda lui aussi dans un hôpital militaire ; celui d’Achilléion, sur l’île de Corfou, en Grèce. Il était affecté au sein du 8ème Régiment du Génie, au détachement télégraphiste de la Mission Française d’Albanie, chargée de venir en aide à l’Armée Serbe replié sur l’Albanie et en voie de reconstitution à Corfou. Il fut l’un des nombreux soldats du front d’orient décédé probablement des suites du paludisme.

Dépôt de matériel de télégraphie du 8ème Régiment du Génie.


Pendant ce temps, sur le front français, à la suite des hécatombes du Chemin des Dames et des Mutineries, la nomination de Pétain à la tête des Armées, s’accompagnait après une vague de répression contenue, de mesures en faveur des hommes et surtout d’une nouvelle stratégie mettant fin aux « attaques suicides » d’une infanterie sacrifiée jusque là en toute inhumanité et inutilité. Les soldats parlaient du « système Pétain » qui se traduisit par des visites au front du Général en Chef, des récompenses et des permissions plus nombreuses, l’amélioration de l’ordinaire (hygiène et alimentation, réduction des entraînements …) et surtout une nouvelle stratégie d’attaques limitées, bien préparées, et le renforcement de l’artillerie lourde et des chars d’assauts

Malgré cela, la rudesse de la vie dans les tranchées ne s’en fut pas bouleversé, même si les attaques étaient moins fréquentes, mais surtout de plus faible ampleur. C’est une guerre de coup de main qui commençait alors, avec des deux côtés des troupes aguerris aux attaques brusquées sur un secteur limité. Le 8ème Régiment de Cuirassiers à Pied etait une de ces unités nées de la guerre. Dès 1915, les régiments de cavalerie, n’ayant plus lieu d’être dans la guerre de tranchée, furent en grande partie dissous ; quelques-uns uns restèrent affectés à la garde des arrières, au maintien de l’ordre où furent occasionnellement envoyé aux tranchées. Certains comme le 1er Régiment de Hussard de Béziers permirent la constitution d’unités de cavalerie nouvelles destinées au service d’infanterie et le 25 mai 1916, deux escadrons du 1er Hussards furent versé au 8ème RCP qui formait avec les 5ème et 12ème Cuirassiers, la 2°Division de Cavalerie à Pied. D’abord en Lorraine, puis dans les Vosges en 1916, la 2° DCP participa à la Bataille du Chemin des Dames, secteur de Guernicourt et Berry-au-bac avant d’être affecté ensuite au secteur du fort de la Pompelle, près de Reims. Sur ce secteur ou les tranchées étaient protégées par des fortins bétonnés, les adversaires se livraient à une guerre de patrouilles et de coups de main. Les régiments mettaient sur pied des « groupes franc » chargés d’effectuer des attaques brusquées afin de ramener des renseignements et des prisonniers. Lorsqu’ils étaient en réserve, les unités travaillaient sur ce secteur à la construction de réseaux de tranchées et de fil de fer

Les mois d’août et de septembre 1917 se passèrent en coups de main et en bombardement de représailles. Les 1er, 2 et 3 octobre, les Allemands tiraient un peu partout sur le secteur du 8ème régiment de « Cuirapieds » et semblaient faire des repérages de tranchées et boyaux. Le 4, à 4h du matin, des obus de tous calibres éclataient sur la position, suivi aussitôt par deux compagnies de « stosstruppen » (troupe d’assauts) qui s’infiltrèrent dans les tranchées de 1ère ligne de la route 44. Les boyaux étaient couverts de mitraille et à demi comblés sous le tir de 12 batteries sur un front de 600 mètres. Les Allemands parvenaient à pénétrer dans un intervalle non gardé et la première ligne se replia alors dans les boyaux avant de contre-attaquer. Dans cette affaire, le 11ème escadron eut cinq prisonniers, 12 blessés et 2 tués dont le cavalier de 1ère classe François PRATVIEL, tué par éclats de grenade, dans la tranchée de cambrai, secteur de Lude.

Groupe d’infirmiers du 8ème Régiment de Cuirassiers à Pieds, vers 1916.

Depuis, juillet 1917, le 2ème Bataillon Territorial de Chasseurs à Pieds faisait partie de la 66ème DI. Après avoir été engagé devant Craonne, lors de l’offensive du Chemin des Dames, la division etait retirée du front du front le 18 juin, puis faisait mouvement par étapes vers la région de Meaux ou elle était mise au repos, reconstituée et effectua travaux et instruction. Le 2ème BTCP l’ayant rejoint au cours de cette période, le 27 juillet, elle était transportée par voie ferrée de Chelles, à Vierzy et à Longpont, puis faisait mouvement sur l’Aisne. Elle occupa alors, jusqu’au 20 août, un nouveau secteur sur le Chemin des Dames, vers le Panthéon et l’Epine de Chevregny. Le 30 juillet, elle attaqua et avança dans la région ferme de la Royère, Epine de Chevregny. Le 10 août, elle dût faire face à une contre-attaque allemande

Du 20 août au 17 septembre 1917, elle était retirée du front, faisait mouvement vers Braine, puis vers Nanteuille-Haudouin où elle était mise au repos. Au 17 septembre, elle etait dirigée vers le front et occupa le secteur vers le Panthéon et à l’ouest jusqu’au 26 octobre. Pendant cette période, le 2ème BTCP était utilisé à des travaux préparatoires à l’offensive. Ses équipes devaient préparer les parallèles de départ pour l’attaque du 23 ; elles furent soumises à d’incessants bombardements de la part des allemands. Jean Marius CASTAGNER trouva la mort le 21 octobre 1917, près d’Aizy, sur le champ de la bataille qui se livra à partir du 23 octobre, à l’ouest du Panthéon, sur Pargny-Filain (Bataille de la Malmaison)

A cette période, le 411ème RI, formé près de Nantes, en 1915, avec principalement des vendéens, bretons et réfugiés du nord occupait les secteurs de Sornéville, Mazerulles et Montcel, en Lorraine. Ce régiment dans lequel on pouvait trouver quelques méridionaux « égarés » depuis que l’Etat-Major avait jugé qu’il valait mieux brasser les populations de la France pour éviter une trop forte communauté de liens entre soldats, allait passer l’hiver dans ce secteur assez calme. Les tranchées y étaient assez profonde et bien aménagées, pourvue d’abris relativement confortables et défendues par un fort réseau de fil de fer. La « loutre noire », affluent de la « Seille » se trouvait à 1500 mètres et séparait les poilus des allemands qui se trouvaient sur les hauteurs de Rozebois et des Ervantes. Selon l’Historique de ce régiment, la plaine qui séparait les deux belligérants n’etait qu’un terrain d’action à quelques patrouilles de nuit lors desquelles s’échangeaient quelques fois quelques grenades, quelques obus et ou sifflaient quelques balles égarées. Mais ce que ne précise pas cet historique régimentaire, c’est que ces obus, grenades ou balles n’en étaient pas moins mortelles pour qui s’y trouvait soumis. C’est probablement la façon dont Jean MAURY fut tué à l’ennemi, le 20 février 1918, à Montcel sur Seille. Il était le premier mort de la commune de Giroussens pour cette dernière année de guerre

 

Montée en ligne du 411ème RI, lors de l’attaque allemande sur Verdun, en 1916.

Un soldat de Giroussens, de la classe 1915 avait été affecté lui aussi à un régiment du nord, du nord-est précisément le 166ème RI, de Verdun. Après avoir participé aux batailles de Verdun et de la Somme, en 1916, au sein de la 132ème DI, ce régiment occupa divers secteurs tout au long de l’année 1917 et jusqu’au début de 1918. A partir du 1er juin 1918, la 132ème DI occupa un nouveau secteur vers l'Epine de Vedegrange et le mont Sans Nom jusqu’au 18 juin ou elle était retirée du front pour aller au repos dans la région de Vadenay. Le 26 juin, elle allait occuper un nouveau secteur vers Auberive-sur-Suippe et le Mont Sans Nom. A partir du 15 juillet, elle était engagée dans la quatrième bataille de Champagne. En effet, après les offensives Ludendorf du printemps 1918, les Allemands lançaient une nouvelle attaque entre Château-Thierry et l’Argonne ; mais celle-ci ayant été éventée, une position de résistance avait été mise en place par la 4° Armée. Après avoir résistée sur la position principale, la 132ème DI organisa le front vers Auberive-sur-Suippe et la ferme de Moscou avant d’être relevée et envoyée au repos vers Saint-Germain-la-Ville du 23 juillet au 1er août. A partir du 2 août, elle était transportée par voie ferrée vers Pont-Sainte-Maxence, puis par camions vers Mareuil-sur-Ourcq, et enfin par étapes (à pieds) vers la forêt de Compiègne. Les alliés ayant deviné le plan d’attaque allemand, avaient préparé une contre-offensive qui allait s’étendre de la vallée de l’Aisne à celle de la Scarpe. Le 19 août, la 132ème DI, passée à la 10° Armée, faisait mouvement vers le front et dès le 20, elle etait engagée dans la deuxième bataille de Noyon. Le 20 août, ses régiments s’emparaient du mont de Choisy, de Cuts, de la Pommeraye et progressaient jusqu'à l'Oise (22 août). A partir du 29 août, ils étaient engagés dans la poussée vers la position « Hindenbourg »et franchissaient le canal de l'Ailette. La 10° Armée avait percé le système défensif des plateaux nord de Soissons, solidement retranchés et défendus avec acharnement depuis 4 ans. Du 2 au 7 septembre, la division était dans le mouvement de poursuite des armées allemandes dans le secteur de la lisière est de la basse forêt de Coucy. Puis tous les éléments de la division s’évertuaient à la réorganisation des positions conquises vers Barisis-aux-Bois et la route de Saint-Gobain à Chauny. Le 15 septembre 1918, la 132ème DI fut retirée du front et alla au repos vers Ivors, puis vers Acy-en-Multien. Mais le 16 septembre, Gaston PAGES, décédait à l’Hôpital Temporaire de St Nicolas, à issy-les-moulineaux, sans doutes des suites de blessures reçues lors de ces combats.

Engagée dans la quatrième bataille de Champagne (du 15 au 18 juillet) comme la 132ème DI, la 16ème DI combattait ensuite vers la Main de Massiges et se repliait sur le front Virginy, bois d'Hauzy. Après des combats du 24 juillet au 30 septembre 1918, la division était retirée du front, et partit au repos vers Herpont, puis, à partir du 27 juillet, fut transportée vers Ay. Un jeune appelé de la classe 1918 de Giroussens fut affecté au 27ème Régiment d’Infanterie de cette division.

Engagée dans la 2ème Bataille de la Marne, vers Sainte-Euphraise et l'Ardre, les régiments progressaient jusqu'à la Vesle, puis s’organisaient sur les positions conquises vers Jonchery-sur-Vesle et l'ouest de Muizon. Lors de cette progression, le jeune giroussinais Daniel GAU etait blessé à 1 km d’Heronville ; il décéda quelques heures plus tard, des suites de ses blessures

Nous avons vu que les derniers morts de la commune avaient été affectés à des régiments du Nord de la France. Depuis 1916, l’Etat-major avait préconisé un brassage des populations au sein des unités ; ceci posait d’ailleurs quelques soucis à ces jeunes méridionaux souvent très mal accueillis dans leurs régiments respectifs depuis la « cabale » lancée en 1914 contre le 15ème Corps et les soldats du Midi. Ce corps d’Armée avait été donné en pâture à l’opinion publique par le Commandant en Chef et le Ministre de la Guerre afin de couvrir des erreurs tactiques lors de l’attaque en Lorraine en août 1914. Durant toute la guerre, cette mauvaise réputation influença la perception et aussi le comportement des troupes du Midi qui furent pourtant tout aussi braves que celles des autres régions. Victorin Bès, de Castres explique son arrivé ainsi : « Nous sommes à Aigny, au 161ème RI. C’est un régiment de l’Est. Nous sommes dépaysés au milieu de ces soldats qui n’ont pas notre accent. Nous restons instinctivement ensemble dans le cantonnement. Nous avons été très mal reçus par notre capitaine... voici quelques phrases qui résonnent encore à mes oreilles : « Ah oui, je sais que vous êtes des soldats du Midi. Dans un régiment comme le nôtre, nous eussions préféré recevoir en renfort des soldats autres que du Midi ! Vous êtes ici dans un régiment qui est appelé chaque fois qu’il faut donner un coup de chien. Au 161ème, on ne recule jamais, sinon je vous brûlerais la cervelle… 


Toutefois, et surtout pour les soldats des classes anciennes où qui avaient la chance de ne pas être blessé, une certaine homogénéité demeurait. D’ailleurs, le dernier mort de la commune, décédé des suites de ses blessures, quelques mois après la guerre, appartenait au régiment d’Albi, le 15ème RI, de la 32ème DI du 16ème Corps, depuis le début de la guerre. Le caporal Célestin RIVIERES décéda le 24 février 1919, à l’Hôpital Complémentaire n°41 de Saint-Dizier. Nous n’avons pas d’indication quant aux circonstances de sa blessure.

Ambulances de Corps d’Armée conduisant les blessés depuis les postes de secours du front vers les hôpitaux militaires.

Aussi et pour conclure l’histoire des « poilus » de Giroussens et du midi en générale, nous allons évoquer, les derniers mois du 15ème Régiment d’Infanterie sur le front

Après avoir passé quelques mois dans les Vosges (au Violu et à Aspach), au début de 1918, la formidable offensive allemande, déclenchée le 21 mars 1918 contre l’Armée anglaise, appela le 15ème R.I., en Belgique. Le régiment occupa, le 4 mai, le sous-secteur de la Clytte que domine le Kemmel, pris par l’ennemi le 27 avril. Une première attaque était exécutée le 8 mai par le 1er bataillon sur la Ferme du Pompier et la Ferme Sans Nom. A 4h15, les pelotons se portaient à l’attaque. Celui de la 2ème compagnie atteignait son objectif, s’emparait d’une mitrailleuse légère et fit prisonniers les trois servants. La section du sous-lieutenant ASSOUAD, renforcée par la section de mitrailleuses du sous-lieutenant PRADERE, occupa la Ferme Sans Nom. La 1ère compagnie faisait à la Ferme du Pompier six prisonniers et enlevait une mitrailleuse légère. Mais à droite, le 159ème R.I., n’avait pu atteindre son objectif ou s’y maintenir ; découvert et menacé sur son flanc droit, le bataillon était obligé de reprendre sa parallèle de départ. La 9ème compagnie qui soutient l’attaque d’un bataillon voisin, enleva brillamment ses objectifs et mérita d’être citée à l’ordre de la Division

Le 14 mai, le régiment reçut l’ordre de la relève qui devait s’effectuer dans la nuit du 14 au 15 mai. Mais vers 17 heures, l’ordre était donné au 2ème bataillon de se tenir prêt à marcher en vue d’un coup de main. Le but de l’attaque était de reprendre, dans le secteur du 80ème R.I., les tranchées de la côte 44 qui, chaudement disputées par le 55ème Bataillon de Chasseurs de la division Targe, venaient de retomber par un coup de surprise au pouvoir de l’ennemi. Le 15 mai, le 2ème bataillon effectuait son attaque ; dès les premières minutes, les cadres des 5ème et 6ème Compagnies furent tués ou blessés. Pertes sensibles qui décapitaient les compagnies. Sous la conduite d’un lieutenant, le groupe d’attaque atteint brillamment les objectifs et les dépassa. Mais seuls les objectifs désignés dans l’ordre d’attaque furent conservés. Le régiment avait perdu dans ces deux journées : dix-huit officiers et six cent quatre-vingt-treize hommes

Après un séjour en Lorraine, du 21 au 24 août, le 15ème RI passa, avec le XVI° C.A., à la disposition de la X° Armée que commandait le général MANGIN. Le 6 octobre, le 3ème bataillon était mis à la disposition du 143ème R.I., et s’empara des villages d’Aulers et de Bassoles-Aulers enclavés dans la « Huding Stellung ». Le 15ème RI prit position devant le village de Fresnes. Le 12 octobre, la retraite ennemie reprenait ; le 15ème marcha derrière le 80ème, il reçut pour mission de s’emparer du village de Couvron. L’attaque se déclenchait vers 16 heures, et, malgré les feux violents des mitrailleuses qui tiraient par rafales, le 3ème bataillon s’empara du village. Dans la soirée du lendemain, le 2ème bataillon enleva le village de Pouilly. Le 1er bataillon dépassa le village de Chéry-lez-Pouilly. Le 23 octobre, le 15ème s’empara de la côte 90 et du carrefour Saint-Jacques. Une section de la 6ème compagnie reçut le 24, l’ordre d’atteindre la station de Crécy. Soumise à des tirs violents de mitrailleuses, cette section qui s’était avec un beau courage engagée sur la chaussée, unique moyen d’accès, fut arrêtée par un ennemi supérieur en nombre qui cherchait à la cerner. Huit hommes seulement, dont deux blessés, purent réussir à regagner nos lignes, après avoir traversé un violent tir de barrage. Le 28, à neuf heures, tous les éléments du 15ème R.I. franchissaient la Serre et s’établissaient sur la ligne de hauteurs au nord de la rivière en refoulant l’ennemi. Après un arrêt de quelques jours la progression victorieuse de la division l’amena à Vervins d’abord, puis jusqu’aux environs de Wattigny, où le régiment apprit le 11 novembre, la signature de l’Armistice. Le 10 novembre, des éléments de la division avaient passé la frontière

Ainsi prenait fin les combats de cette tragédie européenne ayant ruiné le vieux continent. Lorsque les clairons, à 11heures, ce 11 novembre 1918 sonnèrent le cessez-le-feu, les poilus et les allemands sortaient enfin la tête des tranchées, et s’observaient en silence. A l’arrière du front, la nation était en liesse. Mais il manquait une voix à cette joie universelle ; celle des 8 millions d’orphelins, des 8,5 millions de veuves ou de mères qui, en Europe et en Amérique , avait perdu les leurs sur les sinistres champs de bataille.


Copyright :Eric Bruguière