CORPS FRANC DU SIDOBRE


MEMOIRES DU LIEUTENANT OSS PAT DEMARCO
(officier adjoint du Capitaine LAGUEUX chef du commando US parachuté au Sucail)


INTRODUCTION        
                                                                         
C‘est l’histoire d’une section, de quelques hommes dont le désir pour l’action les a rendus volontaires pour s’engager malgré le danger. Ils ont sauté vers l’inconnu en prenant leurs vies et leur futur entre leurs mains. A travers le ciel, ils arrivèrent dans la nuit. C’était un combat envers eux-mêmes, déjà prêts à se battre voire à mourir. Ils vécurent et se cachèrent dans le Maquis et la forêt et traquèrent l’ennemi pendant la nuit.
Pendant la journée ils faisaient feu sur l’ennemi et se réfugiaient dans les bois, laissant derrière eux des morts et des blessés graves. Ils détruisirent et firent des ravages jusqu’à ce que l’ennemi comprenne qu’il avait des « Superman » face à lui.
Il avait peur des explosions des bombes, des routes et des ponts détruits, des embuscades. Même dans les villes où ils se retranchait il vivait dans la peur et l’insécurité, redoutant la haine et l’esprit de revanche. Au fur et à mesure qu’il se retirait et s’affaiblissait, le faisant prisonnier et finalement le forçant à se rendre. Les gens purent alors s’affranchir de la puissance de leurs oppresseurs et casser leurs chaînes. A nouveau, ils retrouvèrent leur terre et leur liberté. A partir de là, ces quelques hommes furent accueillis par tout le monde, fêtés et célébrés. En tant que bons camarades, ils purent participer aux réjouissances et partagèrent la joie qui régnait dans toute la région. Quand ils partirent, ils furent regrettés. Les portes restèrent ouvertes pour un éventuel retour. Ces quelques hommes étaient devenus des amis et avaient gagné leur place dans le cœur des gens, leur venue fut une bénédiction et un salut. Ils ont laissé une trace inoubliable dans le pays et dans la mémoire de leurs habitants.
Au mieux, la guerre peut être perçue comme une histoire dangereuse et pour la majorité une mauvaise partie, une vie d’inconfort et d’insatisfaction. C’est être prêt à tout, même à mourir en sachant que la plupart ne seront jamais appelés a combattre.
C’est ce que ce doit être. Tous les hommes attendent alors l’aventure et l’action. Tous souhaitent avoir l’opportunité de se sentir courageux, même s’ils ont peur du jour où cela arrivera.
C’est l’histoire de quelques hommes. Ceux dont le désir d’action était si fort qu’ils choisirent d’intégrer une unité dont ils ne connaissaient rien. On leur avait promis un travail hasardeux et dangereux, c’était tout.
Ils sont arrivés de toutes les unités, entraînés à devenir un groupe. C’est en étant plongés dans la guerre qu’ils ont pu prendre leurs marques.


RECITS /
Le 6 Août nous décollâmes du terrain pour la deuxième fois. A nouveau, nous avons dit au revoir, serré des mains et répondu « On se voit au petit déjeuner ». Chacun espérait que cette fois serait la bonne. C’était comme être en cage, ces deux derniers jours depuis le dernier essai, savoir que le temps était venu et être contraint de rester là, sans rien faire d’autre que de penser à nos doutes et nos questions sans réponses.
On embarqua dans nos 4x4 et nos camions et prirent la route dans un nuage de poussière. Quand nous furent en bas de la colline, je regardais derrière moi les pins et le village de tentes. Je me demandais alors quand est-ce que nous allions rentrer et si nous aurions tous l’occasion de partager un repas comme le dernier.
Alors que l’on continuait notre route, je revoyais le Lieutenant Ferrer et sa jambe blessée. Le nouveau brassard avec le drapeau américain qui entourait mon bras gauche était neuf et brillant. Je me suis dit en le regardant qu’il ne serait jamais aussi propre.
Le capitaine et le major discutaient de quelques détails dans le 4x4. Sur le siège arrière j’écrivais tout en regardant les collines défiler, recouvertes de vignes, de raisin rouge, d’olivier et de chaumes jaunes laissés par le blé fraîchement moissonné. De nuit, la mer Méditerranée était claire, d’un bleu brillant. A l’horizon, le bleu de la mer se mélangeait avec le bleu du ciel. C’était un beau paysage qui s’éloignait, de bons amis et un campement agréable.
Pendant un instant je me demandais pourquoi cette guerre, cette haine, toute cette destruction, quand la vie et le monde sont si beaux. En même temps, je savais qu’il était temps. Je le voyais dans les yeux des soldats, dans le paysage abîmé par les tirs et dans les carcasses de voitures brûlées et des soldats blessés.
Il faisait chaud et l’air était poussiéreux. Même s’il était plus de 6 heures, nous quittâmes nos manteaux et notre équipement. Tout le monde plaisantait, fumait et mâchait le chewing-gum que nous faisait passer le sergent MAD. L’ordre arriva de monter dans les camions et d’aller vers l’avion. Nous n’avons jamais été aussi près du but. Tout le monde continuait cependant à plaisanter  « on se revoie pour le petit déjeuner », « j’ai un rendez-vous demain soir » !!!
L’avion était énorme et noir. Son nom « nuts » était peint à l’avant du fuselage. L’embarcation était grosse et laide avec son gros nez noir mais il paraissait solide. On l’aimait, surtout une fois à l’intérieur. Nous nous alignâmes à l’intérieur dans l’ordre prévu.
Le Major arrêta subitement de nous parler et parti serrer la main d’un petit homme. « Bonjour Reggie » lui dit-il. C’était le professeur de saut. Son sourire et sa manière de parler et de s’habiller lui donnait un air sympathique. Il portait le chapeau traditionnel des Néo-Zélandais. Reggie plaisanta sur l’état de ses  pantalons, en disant qu’ils tenaient debout tout seuls car ils n’avaient pas été lavés depuis le début de la guerre. C’est un porte bonheur. Quand la guerre sera finie je les jetterais. Je n’aurais pas besoin de les laver. Détendez-vous et fumez. Nous avons le temps avant que je vous montre l’avion. Il se mit derrière Maddock en montant sur son paquetage : « plutôt grand ce gars-là » me dit-il. Tout notre équipement était aligné dans l’ordre. Je me demandais comment toutes ces affaires allaient rentrer. Cela ressemblait à une petite montagne d’équipements.
Finalement, nous allons voir l’intérieur de l’avion. Nous entrâmes avec le numéro 15 en premier. A l’entrée, il y avait le petit professeur de saut, jamais avare de blagues ou de remarques. J’avais l’impression d’entrer dans un grand tunnel. Il y avait plusieurs pièces à l’intérieur. « C’est le trou à travers lequel vous allez sauter ». Il est largement assez grand. Tout ce que vous avez à faire, c’est vous y mettre au-dessus et faire un pas en avant en suivant les instructions. C’est tout simple. Une fois au-dessus du trou, oubliez vos repères fixes de l’avion et allez-y ! dit-il. Il nous montra l’exemple. Cela paraissait très simple. « Tous ceux qui ont sauté de cet avion disent que c’est le mieux. Il y a même des toilettes à l’arrière du fuselage. « Quand  la lumière rouge s’allume, vous avez 4 secondes avant que la lumière verte ne s’allume. Quand le vert s’allume, allez-y sans attendre mes ordres ». C’était tout. Nous sortîmes de l’avion. Je regardais ce trou qui rien n’était d’autre qu’un  grand rectangle.
Vers 20h30 le professeur de saut commença à s’habiller. Nous enfilâmes nos vestes, puis ce fut le tour de la lourde ceinture d’aine. Chaque chose avait sa place, le pistolet, les grenades, la trousse de secours… Le professeur de saut avait l’air de faire mille choses à la fois. Avant que nous montions dans l’avion,  le Major nous adressa la parole. Il avait l’air sérieux et direct. Ses mots venaient du cœur, « …n’oubliez jamais la base de tout, vous êtes des soldats Américains et vous avez confiance en vous… ». En entrant dans l’avion, nous lui serrions la main pour lui dire au revoir. Il y avait de l’inquiétude et de la responsabilité dans ses yeux. Il transpirait autant que nous. La porte se referma et nous étions dans l’avion. L’ambiance était pesante. Nous devions nous assoir à l’avant de l’avion pour le décollage. On s’assit sur 5 bancs avec 3 hommes sur chaque banc. Le parachute faisait office de dossier sur les jambes de celui assis derrière nous.
Nous gardions notre musette entre nos jambes. Les moteurs se mirent en route dans un grand bruit. « Chantons » lança le Capitaine. Nous chantions à tue-tête. De vieilles chansons, des nouvelles et même quelques chansons françaises. Nous chantions « Yankee Doodle Dandy » pour la deuxième fois quand l’avion quitta le sol et grimpa dans les airs. Il était neuf heures et quelques minutes
Nous ne pouvions rien voir puisque les rideaux arrière étaient baissés. Souvent j’avais regardé ces avions décoller dans la pénombre. Ils s’élevaient pour traverser la Méditerranée. Ils disparaissaient en s’éloignant pour ne devenir qu’un petit point noir qui allait se perdre dans l’horizon. Maintenant, nous volions à travers le bleu du ciel. Nous avons quitté Blida et l’Afrique du Nord. Rapidement,  nous allions plonger dans le noir et l’inconnu. Dans une paire d’heures nous serions en terre ennemie.
Quand l’avion eut gagné de l’altitude, nous rejoignîmes nos places dans l’avion en essayant de nous tenir debout sur nos deux jambes. Tout le monde fumait et mâchait du chewing gum. Quand le Sergent Gautier commença à chanter une de ses chansons françaises, tout le monde le suivit. J’avais l’impression d’avoir déjà entendu cette chanson quelque part. Il chantait de manière monotone de telle manière que toutes ses chansons se ressemblaient à part les paroles. Nous avons ri quand l’un d’entre nous fit une fausse note. Le professeur de saut s’entretenait avec le pilote, vérifiant les derniers détails de ce qui allait se passer. Nous chantions toujours avec le Sergent Gautier. Nous avons ri pendant 5 minutes quand Fischer cria « Say bon, hey » à la fin de la chanson. Pendant la traversée il pleuvait. La plupart d’entre nous étions endormis lorsque l’un d’entre nous trébucha sur nos pieds pour aller aux toilettes et nous réveilla. Nous chantâmes alors « On sait où tu vas ». A un moment, il y eut des turbulences dans l’avion et nous perdîmes de l’altitude. Nous avons su plus tard qu’un avion ennemi nous avait tiré dessus.
Il était plus  de 23h00, quand nous nous sommes levés. Le professeur de saut fit les dernières vérifications et nous expliqua quelques dernières choses. Je me sentais bien et en confiance, rien ne pouvait aller mal. J’essayai plusieurs fois mon crochet et j’étais rassuré, tout allait bien.

Nous n’avions plus qu’à attendre en laissant aller notre imagination. Quasiment tout le monde pensait maintenant au trou où il fallait aller sauter. Avant que nous réalisions, le premier homme avait sauté et le reste suivait. Une fois que j’étais en dehors de ce fameux trou, je voyais la grande porte noire ouverte derrière moi et le bleu de l’avion. Les parachutes s’ouvrirent sans problèmes. On avait l’air d’être arrêtés et suspendus dans les airs. Je regardais en haut et je voyais mon parachute kaki. Je regardais comme c’était beau dehors avec le ciel bleu et toutes les étoiles autour de moi. A ma droite et à ma gauche d’autres hommes descendaient aussi lentement. L’air était lourd et nous descendions lentement. L’avion avait déjà disparu dans le ciel et nous pouvions maintenant voir les lumières s’agitant au sol et entendre les gens crier. Je regardais parterre et je vis des arbres et des collines. En me rapprochant du sol, je m’aperçu qu’il allait me falloir éviter quelques arbres, je fis tout ce qu’il faut de manière à atterrir au bon endroit dans quelques buissons. J’avais pris avec moi mon sac et j’étais en train d’enlever mon harnais. Des amis ou des ennemis m’éblouirent et se rapprochèrent de moi. A l’homme qui  avait une lumière, je lui ai donné le mot de passe en me demandant s’il allait comprendre mon horrible français. Il ne semblait pas m’entendre, à la place il me tapa dans le dos et pris mon sac. « je vais porter ça pour vous » me dit-il avec un accent français,  l’autre personne était en train de rouler mon parachute. Tous les deux parlaient ensemble. J’ai entendu : « parachutiste, venez avec moi ». Je n’aurai jamais cru être aussi bien reçu à mon atterrissage.                                                                                                        
Le Capitaine était parti avec le Commandant et n’étais jamais revenu. Ca y est le Maquis prenait toute sa splendeur. Les villageois venaient et nous offraient du lait à boire avec du pain. Nous avons mangé dans la rue et regardé les 5 ou 6 familles qui habitaient là, devant leur maison. Aussi loin qu’ils le savaient, il n’y avait pas d’allemands dans les environs. Il n’y avait pas de tirs de fusils. Je m’assis sur un rocher et pour nettoyer  mes armes. Un vieille dame vient nourrir son cochon, ensuite elle rentra dans sa maison. Je pouvais entendre ses chaussures claquer sur le sol. Son mari vint et nourrit les canards et les poules. Il y avait 2 familles de canard qui suivaient leur mère comme tirés par une ficelle. De l’autre coté de la rue une femme venait de traire sa vache et la remettait maintenant à l’étable. Elle ressortit et cira ses chaussures. Je me demandais pourquoi ???
Les cloches de l’église sonnèrent la messe de 9h. La femme et son mari sortirent de la maison. Elle avait son chapeau noir et sa robe du dimanche noire, lui sa chemise noire. Ils prirent leurs chaussures et les mirent, c’est pourquoi elle les avait cirées avant, ils allaient à la messe. Pendant que certains s’occupaient…………..les autres faisaient comme si de rien n’étais, comme pour leur dire ne vous inquiétez pas………………..
Alors que nous étions assis, le Capitaine et le Commandant Hugues arrivèrent au bâtiment où ils avaient dormi. Ils se grattaient à cause des morsures de puces. « C’est ce que vous attrapez quand vous ne voulez pas dormir à même le sol dans la poussière, finalement c’est plus propre ». Le plan pour la journée était d’attaquer l’ennemi avec des tirs à longue distance jusqu'à ce que le mortier puisse être utilisé. J’emmenais la section au-dessus de la route, près d’une source pour attendre. Nous étions si fatigués que personne ne s’aperçu que des balles frappaient les arbres. Le Capitaine avait envoyé Landry et Berger sur la colline pour surveiller la route et le chemin devait rencontrer le feu de mortier.










L’Attaque Contre le Train
(à Mirabel près de Labruguière)

C’était un après-midi chaud lorsque la nouvelle est arrivé que les Allemands se déplaçaient.  Deux nuits auparavant nous projetions de les attaquer à Mazamet, mais nous l’avions annulé parce que leur train n’était pas arrivé.  Maintenant nous étions certains qu’ils allaient démarrer car le train était chargé et prêt à partir.  Les Allemands avaient chargé tout ce qu’ils voulaient emporter.  Sur des wagons plats ils avaient monté quatre mitrailleuses de 20 mm pour assurer leur protection.  Il y avait également cinq projecteurs dans des wagons plats.  Dans le reste du train étaient des camions, des vélos, des aliments, des radios, et des valises et des malles remplis des biens dérobés aux Français.
Nous sommes partis du campement avec tous nos fusils et armes de poing.  Nous emportions largement assez de munitions de destruction avec nous dans les camions.  Maintenant les Allemands prenaient le départ, et nous devions nous dépêcher.  Nous avons emprunté des routes et nous avons traversé des villages dont nous n’avions jamais osé approcher de jour, auparavant.  Lorsque la voiture à l’avant s’est arrêtée pour attendre le camion, des hommes se sont positionnés à l’avant et à l’arrière pour la sécurité pendant que nous sommes allé dans le village pour demander des renseignements.  C’était la première fois que l’on avait vu des Américains.  Quelques ont poussé des hourras, des autres ont pleuré, tous ont fait signe de la main et nous ont souhaité de bonne chance.  Enfin nous sommes arrivés à l’endroit de l’embuscade.
La route et les rails sont parallèles de Mazamet à Castres.  Nous avions déjà détruit la voie ferrée à l’est de Mazamet.  Le Maquis avait bloqué les routes et les ponts à l’ouest de Mazamet qui venaient de Castres.  Ils avaient aussi coupé les lignes téléphoniques et de télégraphe.  Les Maquisards se mettaient en position quand nous sommes arrivés.  L’endroit de l’embuscade était une tranchée à travers une petite colline, 8 km à peu près à l’ouest de Mazamet.  Il y avait des arbres et des buissons de chaque côté.
La tranchée était assez profonde pour nous permettre de tirer vers le bas sur le train de chaque côté de la voie.  À chaque extrémité de la tranchée il y avait des champs.  On y avait placé des mitrailleuses Browning et des Brens.    Nous sommes arrivés vers 14h00.  Le Capitaine Lagueux, Le Sgt Vezina, Le T/5 Picard, Le T/5 Landry étaient l’équipe de destruction.  J’ai choisi des places dans les buissons pour les autres de la section et je me suis mis à creuser mon trou de tirailleur.
Les Maquisards étaient curieux de savoir ce qui se passait.  Ils ont été étonnés de voir Maddock jeter un sac d’explosifs par-dessus la petite colline.  Lorsque Le Sgt Vezina a placé le sac dans le trou et a tassé la terre au-dessus avec sa pelle, ils se sont tenus à l’écart au sommet de la petite colline. «Ces Américains doivent être fous de pilonner des explosifs comme ça.»  Dans l’intervalle Le Capitaine et les autres membres de l’équipe de destruction étaient très occupés.  Les Français leur ont fait changer l’emplacement des explosifs à trois reprises.  Nous attendions le train à 20h30.  C’était presque l’heure.  Le train était parti de Mazamet et s’était mis en route.  Mais la nouvelle que deux Allemands marchaient en avant du train pour inspecter les rails nous a fait changer notre plan.  On devait enlever du rail les pétards de signal qui allaient déclencher les explosives et brancher au lieu de cela un mécanisme pour déclencher par fil.  Le capitaine venait d’enlever les pétards lorsque quelqu’un a crié, « le train arrive ! »  Nous avons juré.  Le capitaine n’avait pas encore branché le mécanisme.  Tout le monde patientait nerveusement pendant que Le capitaine, avec calme, a envoyé Fischer chercher du fil, une pince, et des outils à sertir.  On l’a fait, on l’a couvert de ruban adhésif, et on a vérifié l’amorce et la charge d’allumage.  Les Allemands n’étaient pas encore arrivés.
Nous nous sommes rassemblés dans les buissons.  Le Capitaine nous a dit que nous serions la réserve stratégique.  Le Commandant Hugh, qui était notre responsable et qui avait élaboré l’opération, nous a dit que les Allemands étaient prêts à se battre.  Dans l’après-midi il était allé à Mazamet demander au commandant Allemand de se rendre avec tous ses hommes ou être tués.  L’Allemand avait fait une pause ; il avait déjà demandé des renforts qui lui avaient été refusés.  Puis il avait répondu brusquement et avec une ténacité typiquement Allemande, « J’ai reçu l’ordre de me déplacer à Castres.  Je vais l’exécuter. »  Les Allemands étaient avertis.  Nous devions réussir donc notre embuscade à coup sûr.
A la nuit tombante, les maquisards étaient bien retranchés de chaque côté.  Une fois le train stoppé ils allaient jeter des grenades et ouvrir le feu avec toutes leurs armes.  Nous étions cachés en réserve dans une petit ravin à côté d’une courbe du chemin de fer.  Si les Allemands essayaient de prendre la fuite en plein champ, nous devrions prendre place dans le lit du ruisseau au bord du champ et ouvrir le feu sur eux.
Tout était prêt quand nous avons entendu venir le train.  Par intervalles celui-ci s’est arrêté pendant que les deux gardes allaient de l’avant pour inspecter la voie.  Le train était long.  Il grinçait et peinait pour s’avancer dans la courbe.  On pouvait entendre les cliquetis des wagons qui cognaient l’un contre l’autre.  Nous attendions l’explosion.  Arriverait-t-il?  Il faisait déjà noir, et nous nous sommes demandés si quelque chose pouvait aller de travers. Si le contact de la mèche qui avait été posée à la hâte n’avait pas fonctionné, les Allemands sûrement s’échapperaient.
Le train a soufflé et puis s’est encore arrêté.  Il y eut une pause, puis une énorme explosion suivie par des détonations de grenades et le crépitement des mitraillettes et des armes de poing.  Très bientôt un nouveau vacarme c’est joint aux autres.  C’était le grondement fort des mitrailleuses de 20 mm.  On eût dit que c’était le son de canons par rapport aux armes de 9 mm et de calibre 30.  Une mitrailleuse de 20 mm placée dans la courbe de la voie tirait au-dessus de nos têtes.  Nous avons vu les balles traçantes éclairer la nuit, frapper la petite colline en face.  Notre section était bien groupée, allongés par terre.  Même s’il y avait un monticule devant moi, je me suis aplati contre le sol chaque fois que les mitrailleuses de 20 mm ont tiré.  « Ils forment un beau spectacle, » a dit Le Sgt Kitchen à côté de moi.  « Oui, mais il faudrait toutes les couleurs, jaune, bleu, violet.  Que le rouge est monotone ! » a dit Landry.  « Comme un arc-en-ciel. » a dit quelqu’un dans le noir.  Tout le monde a ri.  Shapiro et Berger étaient plus loin le long du petit ravin pour nous couvrir lorsque Le commandant est venu nous dire que nous allions partir.  Nous attendions le retour de Shapiro et Berger.  À cause des bruits ils n’avaient pas entendu notre sifflement.  Le Sgt. Vezina est parti les chercher.  Même si ce n’était que quelques minutes, le temps semblait long jusqu’à ce qu’ils reviennent.  Les tirs étaient devenus moins intenses.  De temps en temps il y avait le tir court des Brens ou des mitraillettes, puis en riposte le grondement fort des 20 mm.  Enfin les autres sont revenus.  Nous longions le petit ravin et puis nous nous sommes mis à grimper le talus.  Des épines et des ronces se sont accrochées à nos vêtements et nous ont écorchées les mains.  Il était difficile d‘avoir une prise sur les roches, et nous perdions pieds.  En gagnant le sommet Le Sgt Vezina a regardé à travers la route vers le fossé où nous voulions nous mettre à couvert.  À cet instant les tirs ont commencés intensivement de tous les côtés. Le Sgt Vezina a vu la route et le champ s’éclairer par les balles traçantes rouges brillantes à 30 cm au-dessus du sol.

Les balles tintaient et gémissaient en heurtant les arbres et en ricochant sur des rochers.  Nous avons fait demi-tour pour regagner le bas du talus, puisqu’il aurait été suicidaire de traverser à cet endroit.  Nous avons rampé plus loin le long du petit ravin.  La section a commencé de nouveau à grimper sur le talus.  J’y suis allé pour vérifier le terrain.  Pendant que je grimpais Le Sgt. Kitchen a dit, «  Merde ! » quand j’ai marché sur sa main, et Maddock a grogné dans l’obscurité, « Attention Lt !  C’est ma jambe ! »  Il faisait noir comme dans un four.  Tout le monde jurait sur les cailloux, les ronces, et les épines dans les mains pendant que nous grimpions le talus.  Les tirs avaient diminués jusqu’à des rafale courtes lorsque nous nous sommes rués à travers le champ, un à un, en nous baissant vivement et en nous esquivant, aussi bas que possible.
J’ai vu Shapiro s’arrêter près du bout de la section.  Il m’a dit, « LT, ce Français est blessé.  Donne-moi un coup de main. »  Le blessé pouvait marcher entre nous pendant que nous le supportions sous les épaules.  Nous avons suivi une rangée d’arbres près d’un petit ravin jusqu’à ce que nous ayons gagné un petit village à 300 ou 400 m du chemin de fer. 
Des maquisards étaient déjà là.  Les hommes de la section se sont appuyés contre un mur pour se reposer.  Des Maquisards de la 3ème section et quatre autres avaient été postés sur la route pour la sécurité.  Le Sgt Kitchen soignait déjà le blessé.  Nous l’avions amené dans la maison, ou Le Capitaine LaGueux, le Commandant, et des autres officiers Français revoyaient le plan.  Il était 02h00 du matin à peu près.  La maîtresse de la maison nous a offert de l’eau-de-vie.  Nous avons bu un petit verre.  Cela devait être de l’alcool brut.  Il nous a brûlé la gorge.  Nous avons rempli nos gourdes avec de l’eau, et nous en avons bu.  Les tirs s’étaient presque éteints lorsqu’une ambulance Française est venue dans la rue.  Un grand prêtre en soutane est en descendu.  Un Bren était suspendu à son épaule.  Il nous a dit qu’il n’y avait pas beaucoup de morts ni de blessés.  Ils ont emmené le blessé.  Nous n’avions rien mangé de toute la journée.  Les maquisards avaient obtenu du pain qui n’était plus frais et du vieux lard maigre fumé.  Le lard fumé était dur et très salé.  Chacun en a découpé un morceau et l’a fait passer au prochain.  Landry a dit, « Je ne sais pas si je dois m’en servir pour cirer mes bottes ou non.  Elles en ont besoin. »  « Vous pouvez manger le mien; Je suis Juif. » a dit Shapiro.  Nous avions froid.  Nos vêtements étaient humides après avoir transpiré et refroidissaient nos corps.  Tout le monde était crevé.  Nous sommes tombés en demi-sommeil derrière le mur de la route.  Personne ne s’est pas même tourné pour repousser les mottes de fumier derrière nos dos.
Je me suis levé le lendemain avec le goût du lard fumé salé dans la bouche.  « Difficile de s’en débarrasser. »  a dit Landry en se suçant les dents.  On a vu des ébréchures dans le mur du bâtiment de l’autre côté de la rue où des balles l’avaient touché pendant la nuit.  Les tirs avaient presque cessés.  Il y avait parfois une courte rafale d’un Bren suivi par le grondement fort des 20 mm.  « L’aubade du matin. » a dit quelqu’un.  Un homme au bout du rang a commencé à siffloter The Birdie Song.  « Le fumier de cheval est assez mou. » a dit Quercia en repoussant du pied une motte dure.  « Comme un matelas Beauty Rest, » a dit Le Sgt Vezina pendant qu’il en a écrasé une sous le pied. 


                      
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